Big Trouble in Little China est de ces films faisant de l’improbable une composante, une évidence, un état d’esprit : nous pourrions alors nous en tenir à son contenu-même, sommet de bizarrerie figée dans une dimension étrangère, sauf que celui-ci nous enjoint à creuser pour en découvrir les fondations et raisons, le pourquoi du comment ayant permis sa folle création. Ceci pour dire qu’il est fichtrement délicat de décider par quel bout commencer, ce John Carpenter unique en son genre ayant pour maître-mots décalage, hommage, fougue… et crétinerie consciente.


Nous pourrions ainsi aborder Big Trouble in Little China via le prisme de son réalisateur, désir reconnu d’une carrière attendant de pied ferme son film d’arts martiaux : chose faite donc, mais il était plus inattendu que celui-ci marque un tournant, un désamour (réciproque) du système hollywoodien et un retour aux « sources » indépendantes. Comptant parmi ses plus importants artisans, les scénaristes Gary Goldman et David Z. Weinstein abondent aussi dans l’idée d’un (énième) conflit entre auteurs et l’omnipotente industrie, leur récit à la sauce Far West se voyant adapté par Walter D. Richter suite à leur éviction.


Si les motivations du studio peuvent être discutées, convenons que cette transposition dans une époque davantage contemporaine n’est, in fine, pas dénuée de sens : conservant en ce sens les racines surnaturelles, asiatiques et nord-américaine de la vision originale des susnommés, le long-métrage investi intelligemment le plus chinois des quartiers états-uniens : le Chinatown de San Francisco. Point de « sabordage » en tant que tel donc, l’idée étant surtout de connaître l’équation dans sa totalité : à ce titre, la genèse de Big Trouble in Little China est passionnante, d’autant plus que ce dernier aura été un échec cuisant au box-office, d’où le désaveu évoqué plus haut.


Mécanisme maintes fois éprouvé, le marché de la VHS lui assurera néanmoins une notoriété telle que le statut de film culte lui sera accordé, parachevant son unicité : de fait, ce melting-pot de références a cela de remarquable qu’il ne ressemble pourtant à rien d’autre, quand bien même il tendrait à se saborder dans son jusqu’au-boutisme grand-guignolesque. Car si le clin d’œil respectueux au cinéma de Tsui Hark est notable, son intrigue comme son imagerie lui confèrent davantage des allures de parodie assumée : l’envergure théâtrale et exagérée des chorégraphies martiales, son méchant ancestral et ses sbires tenant lieu de boss intermédiaires, sa rythmique débridée… tout concourt à l’instauration d’un capharnaüm généreux mais guère captivant.


En réalité, plutôt que de décortiquer les ressorts d’une trame sans grand sérieux, il convient plutôt d’en souligner les arcanes ironiques : quoi de mieux en ce sens que le statut de Jack Burton qui, s’il est désigné comme le protagoniste principal en vertu de la logique hollywoodienne, s’apparente dans les faits à un sidekick en puissance ? Doué de surcroît de « qualités » beaufs, machistes et autres réjouissances, et bien aidé par la carrure d’un Kurt Russell comme un bouffon dans le houblon, l’irréductible routier enquille en effet punchlines ridiculo-sérieuses et bourdes de bon aloi : détournant avec malice les codes d’une iconisation courante, Big Trouble in Little China se positionne ainsi à contre-courant et parvient à se forger une identité mémorable.


De quoi résister au passage du temps, bien que ses atours, tons et ambiances l’ancrent profondément dans cette temporalité à nulle autre pareille : celle des années 80/90. Il est d’ailleurs amusant d’y déceler des similitudes avec des œuvres « voisines », par-delà la simple étiquette du film d’aventure à forte connotation fantastique (Indiana Jones, et plus spécialement Temple of Doom) : voir apparaître les Tortues Ninja au détour d’une bouche d’égout n’aurait pas été incongru, tandis que les lieutenants de Lo Pan rappellent furieusement les futurs chara-design de Mortal Kombat. Empreint d’une douce folie ambiante, allègrement alimentée par la bêtise de Jack, les mimiques d’antagonistes extravagants et les allers et venues de seconds rôles non moins agités, le long-métrage ne manque pas de panache.


Mais si sa notoriété est légitime, et que son fond de commerce repose en grande partie sur de l'imbécillité intarissable, il est regrettable que ses frasques invoquent une cohérence, même minime, au rabais. Les illustrations sont légions, telle la brusque transformation de Chang en fier et honnête guerrier, la dangerosité aléatoire de ses supers-vilains ou plus globalement ses enjeux brouillons, pour autant gageons qu’il s’agit là d’un trait finalement très commun dans le giron des productions de ce calibre. Nonobstant cela, Big Trouble in Little China suscite de fait une sympathie amplement méritée


Un film à l’image de « l’œil » de Lo Pan en somme : invraisemblable, guère élégant mais définitivement consistant car plus riche qu’il n’y paraît, collant à la rétine et aux souvenirs.

NiERONiMO
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le 12 mai 2020

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