Un homme, Jack Burton, le plus cool qui soit, et l'un des plus crétins, aussi, se balade avec son fidèle camion à travers l'Amérique sous une pluie battante, se nourrissant de sandwichs, se désaltérant de tord-boyaux et tuant le temps en déblatérant des phrases d'une rare spiritualité comme :


"Bon, je dis pas que j'ai tout fait et que j'suis allé partout. Mais je sais qu'on vit sur une sacrée planète et faudrait être idiot pour penser qu'on est tout seul dans l'univers."


C'est par cette séquence que s'ouvre et se termine le délire de Jean Charpentier, réalisateur iconoclaste par excellence, qui décide de rendre hommage à tout un pan du cinéma asiatique, dont il est amoureux fou, en ramenant derrière la caméra Kurt Russell, son acteur fétiche, également l'homme le plus classe du monde après John Wayne, mais aussi Victor Wong et Dennis Dun, qui eux joueront un an plus tard dans Prince des Ténèbres, qui est d'ailleurs pour moi le meilleur film lovecraftien.


Jack se ramène donc à San Francisco, où il va aider son ami d'origine chinoise à enquêter dans Chinatown, balancer des gnons à droite et à gauche, se prendre des flammes vertes et de la fumée violette dans la tronche, échapper à toutes sortes de démons et de bad guys armés de sabres et de flingues, évoluer dans des donjons remplis d'ossements qui mélangent modernité, avec néons et ascenseurs, et tradition chinoise, avec statues de démons et architecture asiatique. Dans un film au rythme ultra-rapide qui mélange le mysticisme asiatique, les arts martiaux, la Fantasy urbaine, l'action et la comédie, qui ne se prend pas vraiment au sérieux, sans pour autant prendre ses personnages de haut, chose en partie due à la participation au script du scénariste de Buckaroo Banzaï.
Un gros délire, je vous dis.


Ce qui frappe d'abord, c'est l'approche de Carpenter quant à la culture asiatique, empreinte d'un immense respect, qui se voit déjà par ses références : les pirouettes à 200 à l'heure et les combats au sabre évoquent ceux de Zu, les guerriers de la montagne magique, dont Carpenter est un grand fan, et les Trois Tempêtes, guerriers d'élite au service de Lo Pan, sorcier millénaire faisant office de méchant, rappellent les trois frères Bentenrai dans Baby Cart, adaptation par Kenji Misumi du très grand manga de sabre Lone Wolf & Cub (cultissime au Japon mais inconnu et introuvable chez nous, la faute aux éditions Panini, qui font jamais une promotion correcte de leurs mangas et les rééditent rarement).


Mais aussi du fait que Carpenter avait fait ce film pour introduire tout un nouveau public à au cinéma asiatique, alors méconnu en ces âges reculés, et dresse un parallèle entre le spectateur néophyte découvrant ce cinéma, et se sentant un peu paumé dans cet univers à la fois sombre et phantasque et Jack Burton, qui se ramène dans un milieu très marqué par la culture asiatique, et dont il ne connait rien.


Car si vous pensez que Jack est le héros-badass-musclé-et reaganien-des-années-80 n°274, vous avez frappé à la mauvaise porte, car le héros se comporte comme le side-kick, et inversement, le sérieux de son ami et sa connaissance du quartier et de la culture chinoise faisant ressortir la bouffonnerie d'une grande gueule assez beauf et beaucoup moins maligne qu'elle n'en a l'air mais pourtant très attachante, et subissant plus les événements qu'autre chose, sans pour autant verser dans la caricature condescendante. Je pense par exemple à cette scène où Jack tire dans le plafond pour faire son mec, fait tomber quelques débris...et se fait assommer comme un faquin, ou encore à cette punchline de guedin à jamais gravée dans ma mémoire :


"Bon ! Ne bougez pas, montez la garde et faites du feu. Si on n'est pas revenus à l'aube, appelez le président."


Faut aussi noter cette ironie mordante très critique des USA typique de Carpenter qui se fait souvent sentir, comme le montre scène, où un guide d'origine asiatique explique les origines de Chinatown en parlant des immigrés chinois du XIXème siècle, à un groupe de touristes blancs qui suintent l'ignorance et la stupidité par tous les pores.


Ainsi que les très bonnes musiques au synthé comme d'habitude par Carpenter lui-même, qui aident très bien à installer la tension des scènes, et la géniale musique du générique de fin composée par son groupe, The Coupe de Villes.


C'est un super film, vous direz-vous derrière vos écrans, il a dû recevoir un accueil proportionnel à son génie. Mais en fait non. Malgré une très très bonne ambiance sur le tournage qui ressort dans le résultat final (regardez par exemple cette photo bien stylée), le film fut un gros flop à sa sortie, la faute à des producteurs qui avaient très mal fait la pub du film, et à un public à l'époque pas du tout accoutumé au cinéma de l'Orient et à des réalisateurs comme Tsui Hark ou Sammo Hung, et qui ne comprenait pas pourquoi Jack Burton n'était pas vraiment un héros ultra balèze à la Stallone ou la Schwarzy.
Forçant Carpenter à retourner quelque temps au cinéma indépendant, en réalisant avec le studio Alive Films le sous-estimé Prince des Ténèbres, puis l'excellent Invasion Los Angeles, critique acerbe de l'Amérique reaganienne.
Heureusement pour lui, il a très vite acquis la reconnaissance qu'il méritait, avec en prime le statut de film culte, grâce au marché de la k7, puis du DVD.


Bien entendu, je vous recommande ce qui est mon Carpenter favori (dont le trailer, au passage, annonce très bien la couleur du film) mais aussi le génial commentaire audio avec Carpenter et Kurt Russell, qui est hilarant au possible et disponible sur Youtube, où l'on sent toute l'amitié et la complicité qu'ils acquise au fil des années.
Ainsi que ce podcast de NoCiné et cette vidéo de M.Bobine sur le film, si vous voulez connaitre plus de trucs sur ce chef-d'oeuvre.

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le 12 déc. 2019

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