J'avais onze ans, en 2001, lorsque sorti Harry Potter à l'école des sorciers au cinéma. La première chose qui me frappa fut l'étonnante crédibilité du monde des magiciens et, surtout, le mélange de poésie, de joie et d'effroi qu'il fit naître en moi. La Communauté de l'Anneau lui emboîta le pas deux semaines plus tard et, là aussi, l'alliance du merveilleux et de l'ordinaire, de l'ingénuité et de la tangibilité, bref ce mariage parfait entre le monde des enfants, pur et crédule, et celui des adultes, plus grave et désabusé, m'emporta. Grâce à ces deux films, j'étais à la fois un moldu invité à Poudlard et un hobbit propulsé sur l'échiquier de la Terre du Milieu, avec à chaque fois ce même émerveillement teinté de crainte et d'épouvante. Grâce à ces deux films, j'avais, deux mondes dans lesquels m'évader et retrouver un peu de l'innocence de mon enfance chérie. C'était tout simplement du grand cinéma. Vrai et sincère. La vague de films qui allait se succéder les années suivantes dans la conquête du marché florissant du film pour adulescent n'arrivera malheureusement jamais à faire oublier les deux ainés. La faute à un changement de ton, à un changement de regard sur le divertissement, à un changement d'époque où l'impudence, l'immoralité et l'hypocrisie étaient appelées à régner en maître. Le cinéma de divertissement comme l'avaient théorisé Steven Spielberg, John Milius, Robert Zemeckis ou George Lucas était mort. Le ver entra dans le fruit le jour où le cynisme conté par les films avait contaminé la naïveté et l'authenticité de la démarche même de leurs scénaristes, réalisateurs et producteurs. Hunger Games, Divergent, The Maze Runner ou encore The Giver (bien que celui-ci n'est pas rencontré le succès escompté) sortirent coup sur coup avec des fortunes différentes mais une indigence scénaristique similaire.
Tout ça pour dire quoi? Et bien que ma séance de vendredi soir fut à la hauteur de mon inespérance. Sans à priori, je me suis fait cueillir par la franchise, la délicatesse et le soin apporté au projet. Les ingrédients qu'avait jadis réuni Chris Colombus et quelques-uns de ses successeurs il y a plus d'une décennie l'ont été une nouvelle fois ici : de la magie, du rire, de l'émotion, de l'angoisse, de la sincérité. La transposition du monde des sorciers britannique avec tout ce qu'il avait... de britannique dans l'Amérique puritaine de la prohibition est une franche réussite : meltingpot de sorciers (indiens, européens, hispaniques...), speakeasies magiques, luttes intestines et paranoïa puritaine dans un contexte de "Wizard Scare" et de maccarthysme avant l'heure, tout est formidablement cohérent. La reconstitution du New-York de l'entre-deux-guerres est d'ailleurs à ce point soigné et exemplaire qu'il évoque à plusieurs instants les nombreux films de l'ère Pré-Code (Hays) avec ses héros de guerre à la recherche d'une vie paisible (Heroes for Sale de Wellman), ses enfants désœuvrés sillonnant les rues de la Grande Pomme (Wild Boyz on the Road du même Wellman et Angels with Dirty Faces de Curtiz) ou encore sa presse prétentieuse, intéressée et péremptoire (Picture Snatcher de Bacon et surtout Five Star Final de LeRoy). La direction artistique sera, à n'en pas douter, récompensée lors de la prochaine cérémonie des Oscars.
Du côté des interprétations, la classe, le sérieux et la sincérité sont encore au rendez-vous. Le jeu candide et un peu maniéré de Redmayne, qui m'avait tant agacé par le passé, s'avère ici en parfaite adéquation avec son personnage de zoo-éthologue lunaire et bienveillant. L'ambiance surréaliste, doucement fantasmagorique, hivernale et presque alcyonienne qui enveloppe le film lui doit beaucoup. Le soin et le calme qu'il apporte à son personnage bénéficie à l'ensemble de la distribution et, plus globalement, de la production. Les seconds couteaux ne sont évidemment pas en restes, puisque chaque rôle, quelque soit son importance, est tenue de fort belle manière par une troupe d'acteurs talentueux encore peu connue (gageons qu'elle ne le restera pas), à l'exception de Johnny Depp, dont l'apparition est aussi malheureuse que la disparition de Colin Farrell, qui était parfait en sorcier trouble et manipulateur.
Quinze années ont passé depuis la première aventure de Harry Potter, quinze années qui ont vu nombre de films médiocres marcher sur les plates-bandes du jeune sorcier. À tel point que l’espoir de revoir un jour ce glorieux passé revêtir la toile s'était évanoui. Puis en cette fin d'année, dans une de ses salles de cinéma dans lesquelles je m'aventurais jadis énormément et que j'ai peu à peu déserté, le temps d'une scène, Yates m'a embarqué avec son héros romantique, rêveur et romanesque dans son incroyable bestiaire, où le temps n'a plus aucune prise, où le film de sorcier penche silencieusement vers le conte, la féérie, le fantastique. Pour cette scène et celle du dîner chez les sœurs Goldstein, au cours de laquelle la cuisine prend soudainement vie et le repas subitement forme, David Yates a réussi son pari. Une nouvelle fois, l'émotion m'a serré le cœur, les sortilèges empli les yeux et l'effroi provoquait par la magie noire et l'obscurial, glacé le sang. La magie opère encore sur l'enfant qui sommeillait en moi, et que mes rares, quoique régulières, incursions chez Tolkien et Rowling maintenait en vie, et l'espoir est à nouveau permis.