
Les Anges de la nuit, c'est le parfait antidote à la perfection -selon moi- émotionnellement froide des polars de Gray. Des reproches au film de Joanou, on pourrait en faire un wagon. Mais en deux heures dix Joanou réussit là où Gray échoue: faire en sorte qu'on ait quelque chose à foutre de la destinée de personnages mille fois vus dans le polar newyorkais. Il démontre ce que peut apporter au cinéma de genre hollywoodien une personnalité issue du vidéoclip (1), ce passé professionnel si longtemps décrié en France. Pas la révolution non mais un regard pas écrasé par les références cinéphiles auxquelles son sujet fait inévitablement appel. Même lorsque le travelling se fait ample, même lorsque l'autoradio crache les Stones, même à l'église, même lors d'une procession de la St Patrick, on ne pense pas une seconde à Scorsese. La mafia communautaire, le flic undercover, le truand chien fou qui effraie les mafieux du coin, la fille qu'on aime et qui se retrouve en plein milieu d'une histoire de gang, Joanou les prend comme des passages obligés, non des Everests à l'échelle desquels il faudrait se hisser.
Mais il tient ses deux heures dix avec cette salutaire distance zéro à son sujet d'un homme des années 80. L'église par exemple: 5 minutes chrono et pas besoin de balancer du discours sur la rédemption. Morricone trousse un score pas génial mais d'excellente facture, Sean Penn est encore Bad Boy -et n'a pas encore sombré dans la caricature du style Actor's Studio-, Gary Oldman cabotine dans son rôle Johnnyboyesque, Robin Wright fait oublier son passé soap opera, Ed Harris, John C Reilly et John Turturro complètent un cast comme les eighties savaient en faire et Jeff Cronnenweth fait du bon job à la photo. Quoi d'autre? Les disputes de couple n'évitent pas l'hystéro, la boboïsation d'Hells Kitchen sert -c'est dommage- seulement de toile de fond, c'est formellement parfois clinquant. Sauf que le film dépasse ses imperfections par l'état de grâce de son titre original.
Au vu des notes du site, Joanou ne semble plus avoir retrouvé la même inspiration par la suite. Le film date de 1990. L'année des Affranchis, de King of New York, de Miller's Crossing. Le polar ne sera ensuite plus comme avant. L'héritage de ce qu'était le genre dans les années 80 persistera un temps à HK tandis qu'aux States Reservoir Dogs et Heat inaugureront chacun à leur manière autre chose pour le genre. Et Gray tentera de reprendre le flambeau du polar version Grosse Pomme.
(1) Joanou en a fait pour U2 et réalisé le docu Rattle and hum.