L'affiche en dit long sur l'avenir incertain de ces deux là. On le sait maintenant, l'une (Nadia) gagne un césar et fonce vers sa destinée d'actrice prodige, l'autre (Sofiane) tout aussi talentueux disparaîtra pour un bon moment. Pourtant, ces beaux visages tournés vers l'avenir ont la puissance émotionnelle suffisante pour nous offrir une sensation de secousse propre à une bonne séance de cinoche. Et c'est bien ce qui se trame sous nos yeux, en l'occurence en cette année 1986 : assister à l'éclosion de coeurs pleins de talent. La partition d'une jeunesse en quête de passion, d'une scène qui pourrait offrir la gloire dans un quotidien franchouillard un peu morne.

Vingt ans avant l'offre pléthorique des réseaux sociaux et des plateformes streaming qui offriront la célébrité sur un plateau à quiconque possède un compte instagram, d'un peu de talent et surtout de beaucoup de volonté, Les Amandiers propose ici une autre vision de la quête artistique, quête de reconnaissance laissant deviner que pour réussir il faudra apprendre à s'abandonner au destin.

Les Amandiers est une parenthèse essentielle. Un hommage à la jeunesse, porté par des acteurs qui donnent de leur douce personne. Des êtres "vrais" dans la manière de porter leurs rôles qui nous touchent en plein coeur et laisse deviner (ENFIN !) un renouvellement de l'ancienne garde du cinéma français qui semble difficilement laisser place aux nouveaux challenger, n'ayant pourtant plus rien à prouver de par leur fraîcheur à l'écran. Tout le monde joue bien, juste, et plus encore.

Louis Garrel en Patrice Chéreau entrent en deuxième partition de film de manière attendue et marquante. L'entame d'un second volet dans l'oeuvre qui aurait demandé encore plus de folie, mais qui du fond de ces épaules d'acteur vétéran, permet à la structure narrative bancale du film de s'offrir une forme d'éloquence renouvelée, à la manière d'un deuxième tour de manège. Puis comment ne pas mentionner Micha Lescot qui habite les plans fixes de caméra de tout son être, nous laissant savourer l'humeur enfumée de moments qui apportent un supplément d'âme émouvant à un scénario inégal voir fabuleusement imparfait. On se laisse aller face à ces images capturées avec une grâce tout à fait étonnante par Valéria. Par exemple le pardessus de Sofiane Bennacer, porté comme une cape mouvante aux allures imprévisibles. Mais plus encore au col roulé rouge de Nadia Tereszkiewicz qui semble exprimer une simplicité d'être, candide à la fois rongé par la passion.

Ces corps sous le vêtement ne cessent de se donner à nos yeux de spectateurs pudiques.

Valéria, réalisatrice au sens quasiment omniscient du terme et ce à juste titre, puisque l'image, au delà de n'être qu'un écrin précieux servant de faire valoir à ses talents de réalisatrice ne font ici surtout qu'obéir au dessein sans cesse apparent, inlassablement renouvelé de la figure de ses acteurs. Filmés de profils, dans salle de bain, filmés sur vert d'une pelouse omniprésente comme autant de frontières symboliques d'une scène, des cadres amenant à renforcer les sentiments d'amour et de peur, de cette mort qui ne cesse d'effectuer sa langoureuse danse auprès de ces comédiens, qui ne feront que la braver tout au long du film. La loi du libre arbitre.

Car c'est une génération sacrifiée, désinformée, à qui on propose une année 1986 faite de drogue dure, de nuage radioactif, et de sida. Bref une sorte d'apocalypse imminente, qui à l'heure d'une consommation moins effrénée de l'information, laissait pour seul choix à nos jeunes êtres de foncer, griller des feux rouges, sans qu'aucun adulte hors mis le clan des Sages Professeurs du théâtre, ne viennent rompre chemin de grâce.

Après Armageddon Time de James Gray, qui revisitait le genre de ces films d'époque-hommage, utilisant les évènements temporels et historiques afin d'accentuer la tonalité perceptive des personnages en les inscrivant dans un réel passé, nous voici à nouveau invités à retrouver une unité de temps et d'espace célébrant la déconnection du réel, dont les seuls indices nous parviennent par sonorités et visions (voiture d'époque, radio diffusant les infos) offrant à nos yeux un exercice de haute voltige effectué dans le sang et les larmes (voir scandale récent) par dame Valéria Bruni-Tedeschi. Peu de figurants, voir quasiment aucun, laissant entendre que le décor d'un film n'a pas besoin d'êtres humains supplémentaires si la caméra décide de ne cadrer que l'essentiel. Ici Les Amandiers qui suppose être un lieu de formation théâtrale de renommée mondiale, laisse seulement apparaître de lui-même une architecture froide et brutaliste, offrant à ces étudiants assez peu de perspectives, face au dehors, au monde extérieur, hors mis la joie, la volonté de présence et de persévérance. Fait qui pour un étudiant en théâtre est fidèlement retranscrit. Les épisodes de vie, l'esprit de troupe ne fait que coexister en un habitat organique complètement à part, laissant entendre un nombre de coucheries frôlant l'absurde et ironisant sur la charge de vie, pulsions vitales qui compose si bien le quotidien de ces âmes organiques.

Les Amandiers c'est aussi un coup de pied fulgurant dans l'offre d'un cinéma français incapable de se renouveler, offrant à la vue de tous, la demeure subtile et superbe d'une oeuvre qui au delà de se vouloir parfaite, offre de permanents instants de grâce, dont personne ne sortira tout à fait indemne.

lookingforAlice
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le 6 juin 2023

Critique lue 35 fois

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