Sachez, en préambule, qu'au Quebec le film s'appelle "Air Bagnards" ce qui est quand même über cool. Donc Air Bagnards nous raconte comment un gentil soldat incarcéré injustement se retrouve dans un improbable fourgon pénitencier volant avec une bonne douzaine de meurtriers multi-récidivistes. Il va sans dire que le fourgon est détourné par les prisonniers. Heureusement notre brave soldat, Cameron Poe, va tout faire pour les empêcher de fuir. Son honneur passe avant tout le reste, avant sa petite fille, avant sa coupe de cheveux... c'est dire s'il a le sens du sacrifice.

Ce film est une énigme. Une énigme parce que les bases du film sont tout de même incroyablement nulles. Cameron Poe est idéalisé au possible alors que c'est quand même un type qui tue les gens à mains nues pour quelques remarques douteuses. Mais comme c'est un alcoolique qui meurt ce n'est sans doute pas grave... et puis il a une jolie petite fille toute droit sortie d'une pub pour shampoing donc il ne peut être que gentil.
Le reste du scénario est à l'avenant avec un personnage qui repose toute sa stratégie sur un mec qu'il n'a jamais vu et qu'il ne connait que par dossier interposé. Plus tard on a des marines piégés dans un goulot d'étranglement alors qu'ils sont en plein désert, à terrain découvert. Comble du raffinement Cameron Poe arrive à transpercer le tibia d'un bad guy avec un cure-dent, d'une seule main, en suspension et blessé à l'épaule. Je dis : balèze et bravo.

Ensuite il y a la mise en scène du tout jeune Simon West (qui commettra par la suite Tomb Raider et Le déshonneur d'Elisabeth Campbell), caricaturale comme ce n'est pas permis. Contre plongées en cascades, ralentis sur des mâles suant en plein effort, montage dyslexique se préoccupant plus des explosions que des personnages, utilisation envahissante d'une musique pompière, etc....

C'est grossier, c'est complètement idiot, ça n'a pas de sens (on balance une bagnole dans une tour de contrôle... comme ça, juste pour le plaisir de le faire).

Rien de mystérieux là dedans. Non, des bouses d'action hypertrophiées il y en a des centaines chaque année. La vraie énigme vient du fait que ce film dégage une étrange et irrésistible sympathie. Tous les indicateurs sont au rouge et pourtant, impossible de ne pas aimer ce gloubiboulga assourdissant.

Il y a tout d'abord ce casting hallucinant : John Malkovitch, John Cusack, Ving Rhames, Nicolas Cage avec une coiffure abominable, Danny Trejo, Colm Meaney, Steve Buscemi...
Si le sourcil froncé de Nicolas Cage sens l'acteur impliqué alors qu'il n'y a pas de quoi être fier, le reste de cette joyeuse bande s'en donne à coeur joie. Cusack est parfait et Malkovitch en fait de tonnes... il est tellement pas crédible que ça en devient jouissif tant on sent le second degré d'un acteur venu là pour s'éclater. Il faut être complètement fou pour menacer un lapin en peluche avec un flingue et Malkovitch le fait avec une conviction désarmante.
Mais l'homme important du film c'est surtout Scott Rosenberg, le scénariste. Les punch-lines sont toutes plus bêtes les unes que les autres, on se croirait dans un concours d'insultes lors d'une soirée de carabins. L'accumulation de rebondissements tous plus cons les uns que les autres (l'atterrissage en plein Las Vegas, il fallait oser) avec une telle régularité et un tel crescendo pousse le spectateur à se demander si tout ceci n'est pas profondément parodique. Une question qui restera sans réponse mais le doute est là. Ce n'est déjà pas si mal dans un genre où tant de films sont débiles au premier comme au second degré.

Au milieux de ces situations idiotes, de ces personnages caricaturaux il y a une bulle de pur génie. En effet le seul personnage secondaire que le film prend la peine de développer c'est Garland Greene, joué par le toujours génial Steve Buscemi. Greene est un psychopathe intégral à tendance violeur/pédophile, une ordure totale sous un masque placide et bienveillant. Pourtant, dans tout le fracas de feu et de sang, le film prend le temps de l'humaniser via une scène archie glauque dans laquelle il joue à la poupée avec une petite fille. Un moment complètement déconnecté du film, un moment gratuit et dérangeant (le plan subjectif de Greene sur la fillette est particulièrement perturbant) mais un moment paradoxalement inoubliable. Je met au défi quiconque de ne pas chanter "il tient le monde dans ses mains" après ça.
Pourquoi humaniser ce mec ? Pourquoi le rendre profondément sympathique (comme en témoigne le dernier plan du film) ? Aucune idée mais ça marche et, quelque part, ça a un côté cool.

Devant un tel étalage de testostérone, devant une telle accumulation de bêtise, devant tant de violence gratuite, devant tant de virilité absurde le réflexe naturel serait de fuir. Pourtant il est impossible de détester Air Bagnards autant qu'il le mérite. A l'image de cette culpabilité que l'on ressent à sympathiser pour un violeur notoire on a presque honte d'apprécier un spectacle aussi affligeant. A la vue de tout ça on sourit, bêtement, et surtout on chante... ♪ il tient le mooooooonde dans ses mains, ♫ il tient le monde dans ses mains ♪ ...
Vnr-Herzog
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le 8 sept. 2011

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