Y a pas à dire, Tarantino provoque vraiment chez moi des réactions contrastées, à l'image de Django unchained qui se scindait en deux parties dans mon avis, une qui accumulait les bons points en alignant nombre de méchants éclatants et une absence de complaisance (peu de violence, ou en hors champ de façon bien suffisante pour dénoncer sans lourdeur), et une autre particulièrement mauvaise cumulant parlotte inutile et flinguage de blanc à la chaîne avec toute la complaisance que la vengeance peut susciter. Ici, c'est comme si la dernière heure de Django avait été étirée sur près de trois heures. Presque un cauchemar à ce niveau.


Les 8 salopards finit par en devenir tellement violent et malsain qu'il bascule complètement du western vers l'horreur, en gardant toutefois la cohérence du style Tarantino (essentiellement par les petits gadgets qui agrémentent ses films : construction en chapitres, différents marchés passés entre les protagonistes, scènes de calme cynique précédant les fusillades gores... Toutes les petites truculences tant appréciées par les fans son au rendez vous). Il y a même les clins d'yeux cinéphiles avec un Kurt Russell aussi paranoïaque que dans the Thing (l'hommage est particulièrement palpable avec les extérieurs enneigés et le système de cordes totalement inexploité, et avec une musique vraiment reconnaissable de Morricone), et bien sûr parmi les rebondissements du script qui se repose beaucoup sur l'attente. Toutefois, nous aussi nous devrons attendre. Car l'introduction du film dure une heure. Une heure de parlotte où chacun est amené à raconter son histoire, la part belle étant donnée à Samuel Lee Jackson et Kurt Russell, ainsi qu'au futur shérif de Red Rock city qui trouve une certaine étoffe dans son personnage issu d'une famille de sudistes, alors que les tensions identitaires sont toujours bien vivaces.


Après une introduction très classique pour Tarantino (bien filmée, j'en conviens, mais très longue), le film commence et enchaîne question rythme. Les dialogues deviennent alors plus précis, et le suspense fonctionne alors qu'il s'agit de débusquer le(s) traitre(s) présents sur place. Chaque personnage étant au mieux douteux, au pire revendiqué dans un camp établis (l'ancien général sudiste). Etant dans une catégorie de divertissement, on pourra alors trouver son compte dans la tension et les retournements de situations que le script parviendra toujours à multiplier jusqu'à la conclusion. En cela, Tarantino a toujours ce petit quelque chose de magique dans sa roublardise puisqu'il axe tout sur le dialogue et qu'il laisse globalement à chaque protagoniste une chance par la parole. Tarantino est aussi assez roublard pour diluer dans le fond toutes les excuses morales nécessaire pour justifier sa complaisance sadique dans la violence. Tous ses personnages sont des salopards, donc pourris, racistes, ségrégationistes, sadiques, ou régis par des principes plus ou moins arbitraires. Ce sont tous des enfoirés notoires, mais ils ne sont que huit, donc on ne peut pas en conclure à un message sur l'humanité, mais c'est un peu sombre quand même. Ce flou sur les partis pris n'excuse pas ce cynisme incroyable qui parsème chaque éclat de violence, où le gore éclabousse tout à grand renfort de blague et d'éclats de rire qu'on cherche à susciter chez le public. Sous l'angle du divertissement, on doit alors se gausser d'une soeur qui voit la tête de son frère exploser sur elle, d'un vomi sanglant, d'un flinguage sommaire... Moi qui commençais à croire que j'avais une complaisance pour la violence, voilà que Tarantino me redonne l'innocence de mes 12 ans. Car Tarantino aime le malsain et l'humour nazi (comprendre par là bien complaisant, se délectant de la souffrance de la personne, se moquant de la douleur et de la détresse en l'enfonçant davantage), et qu'il culmine ici, célébré dans un final abominable qui m'avait atrocement gêné, piégé devant une torture bien complaisante et entre des éclats de rire qui fusaient de partout dans la salle. Et obligé de subir un "Mais c'était un divertissement et c'étaient tous des connards ! C'était drôle !" en sortie de salle pour contrer mon air refermé. C'est sûr, personne n'y gagne, le spectateur non plus. C'est une surenchère gratuite que je n'ai tout simplement pas trouvé divertissante.


Les personnages restent évidemment ce qu'il y a à sauver (avec la photographie et la musique), puisque tout le scénario s'articule sur eux. Samuel Lee Jackson arrive en tête, car malgré l'épouvantable lourdeur de son anecdote


(où la vulgarité malsaine explose à nouveau, on imagine tarantino mort de rire en écrivant le dialogue, qu'il nous repasse deux fois pour qu'on comprenne bien qu'une bite noire et une bouche blanche, c'est drôle)


, il est celui sur lequel repose un certain suspense de part la tension raciale toujours présente. Kurt russell et le futur shérif sont également bien développés, assez pour que l'on ait de l'intérêt pour leurs trajectoires respectives. Les autres personnages sont bien en retrait, à peine développés sur leur apparence physique et leur passé. Le personnage du bourreau, interprété par Tim Roth, est une catastrophe. C'est l'exact copié collé de Christoph Waltz de Django. Seul l'accent prend des tournures anglaises ici au lieu de la jouer à l'allemande, et encore, par moments, on les confondrait. On a donc droit à Tim Roth qui imite pendant près de 3 heures le dentiste, mais c'est moins drôle, moins bien, et surtout déjà vu et cliché. C'est là un bien gros point négatif, qui initialement sensé être un petit accessoire comique en clin d'oeil, devient une repompée bien grasse qui alourdit chaque dialogue durant lequel il intervient.


N'ayant finalement à offrir que le divertissement de son suspense (le malsain et la violence sombre ne dénonçant rien de bien concret, tout au plus une vague idée de racisme généralisé à la Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?), Les 8 salopards est un western un peu mou qui culmine dans la violence avec une jubilation qu'il cherche à communiquer. Ca a l'air de fonctionner, mais un retour de manivelle dans l'estomac façon Inglorious basterds m'a bien cloué au sol pour celui ci. Tarantino peut retourner bosser sur son prochain script.

Voracinéphile
4

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le 7 janv. 2016

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Voracinéphile

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