La neige en linceul éblouissant recouvre ce monde comme s’il était sien, comme pour en dissimuler les sacrilèges qui poussent ici comme chiendent sous son manteau virginal.
Et lorsque le ciel et le sol se confondent, que les yeux ne savent plus où commence l’un, où finit l’autre, ceux qui se perdent en ces terres de malédiction doivent savoir qu’ils flirtent avec les limbes.
En marge des Enfers, les montagnes se dressent en remparts et chatouillent les nuages gonflés, jusqu’à crever le ciel. Les éléments se liguent pour empêcher ce qui va se jouer. Vomir, se déchaîner pour stopper cette diligence qui fend l’enfer blanc.


A son bord, un couple mal assorti, un grizzly et une sorcière enchaînés. On doit pendre cette femme, cet animal, jusqu’à ce que mort s’en suive. Il est celui qui la mène au gibet et qui, pour tout l’or du monde, ne manquera pas l’instant où la vie quittera sa carcasse cabossée.
Les forêts semblent mortes, figées par le froid. Le Christ, planté en sentinelle à l’orée de ces terres où même les diables hésitent, pétrifié dans un cri de douleur, semble hurler comme hurle le blizzard en approche. Et quand un démon à peau noir puis un autre du même acabit, comme son négatif au sourire carnassier, émergent du néant et prennent place dans la charrette, le ménage à quatre qui s’amorce tournera, fatalement, à la débandade.


La neige vient accroître le sentiment de solitude et la tempête qui s’annonce sera une force déterminante dans l’intrigue. C’est la menace qui oblige à se terrer dans ce cloaque, à s’inviter au bal glacial des lugubres que l’on donne, sépulcral, où chacun joue sa partition, son jeu de dupes. Car ils sont là, les prédateurs, la vermine, ces nuisibles qui portent sur leur faces les vérités qu’ils voudraient enfouir au plus profond. Des archétypes de ce que cette époque pouvait donner de pire, attendant que sonne la dernière danse, au bal des damnés. Boniments et langues de bois, qu’importe, si ça se danse.
L’orchestre chante misère, une ancienne mélodie capricieuse et installe une tension palpable, un air aux rancunes vivaces, une valse malsaine aux mensonges qui tournent à la vérité et ricochent comme une rengaine tenace qui refuse de lâcher prise avant le point d’orgue final, une symphonie éjaculatoire aux relents de poudre et de cervelle fraternelle qui tourne aux règlement de compte baroque.


Tarantino pointe inlassablement la violence comme partie intégrante de cet univers. Cette violence qui, après les palabres, devient l'unique moyen pour sortir de l’impasse où le cinéaste a installé ses personnages.
Qu'on s’y oppose ou qu’on y participe, une seule issue : la mort.


Comme on pourrait reprocher à Hendrix de sonner comme du Hendrix, aux Beatles de faire du Beatles, Tarantino impose son rythme. Qu’il convoque Cimino, Peckinpah, Rudy Ray Moore, Corbucci, Romero, Raimi ou De Toth, Tarantino ne fait pas un western, il imprime sa pulsation truculente, fascinante, hypnotique jusqu’au dégoût.
Tarantino fait un Tarantino.

DjeeVanCleef
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le 12 janv. 2016

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