Trois ans après son sulfureux thriller La Loi de Téhéran, le jeune cinéaste iranien Saeed Roustaee revient à la charge pour un nouveau film coup de poing, son troisième, Leila et ses frères qui s’impose parmi les meilleurs longs-métrages de l’année. Présenté au Festival de Cannes 2022, beaucoup le voyaient obtenir la très prestigieuse Palme d’Or mais il n’en fut rien et le film repartit avec les Prix de la critique internationale et de la Citoyenneté. Le ministre iranien de la Culture, Mohammad Mehdi Esmaïli, interdit la projection du film car il « […] ne peut obtenir un permis de diffusion, compte tenu du « refus » du réalisateur de « corriger » son ouvrage, comme le ministère lui avait demandé ». 


Leila a dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Afin de les sortir de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque un dernier soutien financier. Au même moment et à la surprise de tous, leur père Esmail promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain, la plus haute distinction de la tradition persane. Peu à peu, les actions de chacun de ses membres entraînent la famille au bord de l’implosion, alors que la santé du patriarche se détériore.


Leila et ses frères est époustouflant par bien des aspects, à commencer par son casting : Taraneh Allidousti qui interprète le personnage éponyme est d’une très grande justesse tant elle oscille entre fragilité, malice et détermination avec une aisance déconcertante en plus d’être une belle figure féminine qui tente d’imposer sa loi dans un pays majoritairement dominé par les lois des hommes. 


Elle est entourée par cinq partenaires masculins tout aussi remarquables qu’elle : ses quatre frères parmi lesquels nous retrouvons Payman Maadi (déchirant dans Une Séparation de Asghar Farhadi) et Navid Mohammadzadeh, déjà présents dans le précédent long-métrage de Roustaee et qui montrent une fois plus toute l’étendue de leur talent, l’un en escroc pas très débrouillard et l’autre qui s’avère être le plus intelligent des quatre frères mais qui souffre d’un terrible manque d’assurance. Les deux autres frères, campés par Mohammad Ali Mohammadi et Farhad Aslani, maillons faibles de la fratrie, sont tout aussi justes et leurs personnages en deviennent drôles et grotesques tant ils sont d’une bêtise affligeante. 


Enfin, le patriarche Heshmat, doucereux et fragile en apparence, incarné par le prodigieux Saeed Poursamimi est d’une monstruosité, d’une lâcheté et d’un cynisme écœurants vis à vis de ses enfants, et en particulier de Leila, alors qu’elle ne cherche justement qu’à instaurer un climat de paix dans sa famille en ayant le projet d’acheter une boutique. Il n’a guère d’affection pour eux, ne cherchant que le profit et la bonne grâce des pontes de la haute société iranienne, rêvant d’en devenir le nouveau parrain suite à la mort de son cousin. Comme dit dans le synopsis, plus haut, il va commettre l’irréparable en promettant une somme qu’il n’a pas, ce qui va entraîner l’effondrement de son entourage familial et réduire à néant ses ambitions. Une mention spéciale pour l’actrice qui interprète la mère, Nayereh Farahani, dont le personnage est détestable et infernal au possible, aussi bien pour cette pauvre Leila que pour nous spectateurs.


Les dialogues sont d’une puissance et d’une subtilité extraordinaires, emplis d’une grande violence qui m’ont par moments laissé bouche-bée. La caméra de Roustaee nous introduit avec force dans cet univers de faux-semblants et de cruauté, où les plus forts, en l’occurrence les riches dont fait partie Bayram (Mehdi Hosseinina imposant de terreur), cousin de l’ancien parrain, écrasent les plus faibles, ici Leila et sa famille. Une opposition qui n’est pas sans rappeler Parasite du sud-coréen Bong Joon-ho, qui, sur un registre plus comique, faisait s’affronter deux familles aux valeurs sociales et économiques diamétralement différentes dont l’issue était sanglante. Il n’y a pas de place pour l’honneur, la justice et l’amour dans cette société vile et corrompue, y compris dans le cercle familial sur lequel règne en tyran Heshmat, extrémiste et fermé au possible. La seule trace d’affection qui subsiste est le lien qui unit Leila et ses cinq frères, bien que frêle, ils essaient chacun de s’en sortir comme ils peuvent et de rester soudés. La complicité entre Leila et Alireza (merveilleux Navid Mohammadzadeh) est particulièrement touchante et crédible. 


Le film possède des séquences mémorables dont celle du mariage du fils de Bayram, dans une colossale salle de réception, dominée par une lumière démiurgique où l’intensité et la joie règnent avant que ce climat chaleureux, en apparence, bascule dans l’effroi le plus total. Dans un suspense digne d’Hitchcock, les regards de Leila et Alireza en gros plan en disent long sur l’avenir sombre qui les attend…


Le rythme ne faiblit jamais, malgré les deux heures quarante, nous sommes sans cesse amenés de rebondissements en rebondissements, jusqu’à une scène de danse finale poignante et pittoresque baignée par les confettis et les larmes. 


Avec Leila et ses frères Saeed Roustaee s’impose définitivement comme un cinéaste majeur, dénonçant avec courage et conviction les immondices, entre autre, de la corruption et de la violence qui gangrènent son pays. Nul doute qu’il saura marquer les esprits avec son prochain projet extrêmement attendu, c’est peu de le dire. 

Pazu7
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le 19 sept. 2022

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