Commençons tout de suite par les points négatifs du film, car son commentaire mérite sans doute de finir sur une belle note. Le film est long, vraiment long. Je ne pense pas qu’en 2022, et ce pour plusieurs raisons que je ne pourrais développer ici, il soit pertinent de présenter des films aussi longs. À moins que la longueur soit justifiée par le propos ou par l’objet, ce qui n’est pas le cas ici. Le film est long dans sa durée (2h45 tout de même), mais il présente aussi de nombreuses longueurs. Les scènes sont majoritairement toutes longues et il en va de même pour les dialogues. Certains dialogues auraient gagné en beauté, en poesie et en pertinence si ils s’étaient achevés plus tôt. À ces longueurs s’ajoute une sensation de brouhaha permanente. Les scènes sont bruyantes et les voix hautes perchées. Ça donne la sensation d’éclats de verre qui tîntes tous le long du film. Quand les silences surviennent, ils sont si salvateurs qu’on en redemanderait. En terme de sensation, ces éléments parasites quelque peu les bons aspects du film.

Cela dit, je retombe tout de suite sur l’un des aspects qui fait de ce film un bon film : les acteurs. Il est souvent très lassant qu’un film avec beaucoup d’atouts soit mal interprété dans son propos. C’est d’ailleurs souvent une véritable épine dans le pied. Ici, ce n’est absolument pas le cas. Chaque acteur est une pépite et plus que le jeu, chaque personnage (principal en tous cas) est écrit avec finesse. Dans cette fresque familiale, on retrouve effectivement les paramètres d’une famille au sein de laquelle les personnalités frictionnent et son pourtant contraintes à composer ensemble. Dans Leïla et ses frères, les membres de la famille ont chacun leur place et leur rôle à jouer, sans que jamais une morale manichéenne ne vienne trancher en faveur de l’un ou de l’autre personnage. C’est appréciable de ne pas se voir dicter de quel côté le cœur du spectateur doit balancer ; assez rare de nos jours pour le souligner et le valoriser.

Cette absence de manichéisme se retrouve dans les thématiques abordées. On ressent en filigrane les grands concepts dichotomiques tels que : tradition et modernité, homme et femme, honneur et liberté, richesse et pauvreté. Mais Saeed Roustaee à l’intelligence de ne pas forcer le trait. De ne pas s’empêtrer dans une peinture d’un Iran stéréotypé. Toute l’affaire pourrait en fait avoir lieu dans n’importe quelle famille sur les dents. La scène finale, dans un salon rempli de petites filles, laisse à penser que cette famille masculine aura à vivre un renouveau. Mais on ne sait s’il s’agit là d’un pied de nez ou juste d’un fait, d’une simple ironie du sort.

Esthétiquement, c’est un beau film doté de plan travaillés au millimètre. L’esthétique sert le propos, avec des plans majoritairement rapprochés ou moyens, qui sont en adéquation avec l’absence d’issue qui est mise en scène. Il n’y a rien d’époustouflant (à part probablement les scènes filmées dans l’usine et le va et vient des ouvriers entre chaos et ballet de danse), mais tout entre en cohérence, tout sonne « vrai ».

Globalement, Saeed Roustaee propose ici une tragédie où la question du dilemme est centrale comme dans toute tragédie réussie. Où l’honneur de la famille doit être affirmé ou réaffirmé. Où chaque choix doit être pesé et sous-pesé attentivement car porteur de conséquences. Là où cette tragédie offre un dénouement intéressant, c’est dans la mesure où, finalement, la fatalité redevient la normalité de la situation initiale ; démontrant ainsi que ce qu’il y a de tragique dans la vie c’est finalement la vie en soi et l’immuabilité des conditions humaines.

dazy
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le 1 sept. 2022

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