Il n’a fallu qu’un premier film pour nous envoûter et nous malmener. « La Loi De Téhéran » a ainsi porté Saeed Roustaee vers une nouvelle consécration de prestige, dans la compétition officielle cannoise de cette année. Le cinéma iranien est de plus en plus mis en valeur, notamment après le récent succès de « Le Diable N’existe Pas » et « Un Héros ». Alors que la censure frappe aux portes de « Holy Spider » (Les Nuits de Mashhad) et ce dernier essai, particulièrement littéraire, la volonté de brasser l’authenticité d’une culture internationale ne fait que se renforcer. Cette tragédie familiale nous fait donc l’honneur de nourrir le portrait d’un pays qui se déchire de toute part, à commencer par un foyer, où les patriarches nous font adhérer à une expérience qu’on ne peut refuser.


Les références peuvent être nombreuses, mais le cinéaste investit particulièrement celle d’un « Père Goriot » (Saeed Poursamimi), qui n’a plus le sou à investir dans une famille qui tutoie la misère, jusque dans sa dépendance aux traditions, qu’elles soient de nature religieuse ou non. On laisse les histoires de drogues de côté et on se tourne à présent vers une autre foule, dont on arrache les emplois, les salaires et surtout une stabilité qui n’a rien du miroir social que l’on suit. L’inflation contamine l’économie d’une nation, déjà en proie avec ses propres démons, que l’on reconnaît à la lâcheté. Il faut bien de la résistance dans ce monde, qui n’arrête pas d’entraîner des individus dans la spirale du malheur. L’instinct et la réflexion sont du côté de Leila (Taraneh Alidoosti), tandis que les convictions les plus conservatrices règnent du côté de ses frères et notamment derrière ses aînés, qui ne parviennent plus à regarder leurs enfants pour leur richesse d’esprit.


L’étau se resserre inévitablement autour de chaque membre, une fois qu’on aura ouvert l’intrigue avec le mouvement des masses, significatif d’un peuple opprimé, soit par les forces de l’ordre, soit par les regards de ses soi-disant pairs, soit par une douleur physique intense, chose que le film transmettra sans peine au spectateur. On reconnaît ainsi Roustaee pour son cadrage vertigineux, au cœur d’une mêlée. Et quand bien même le nombre de protagoniste augmente au fur et à mesure, il ne délaisse aucun membre de la famille endettée. Leila est constamment poussée hors d’une voiture ou dans le hors-champ, accablant ainsi une suprématie patriarcale toujours présente, ainsi discrète dans son étalonnage. Pourtant, elle ne quittera jamais l’écran, car sa conscience guette chaque scène, où les hommes discutent et sont isolés pour éviter les potentiels caprices de cette dernière.


Il n’en est rien, elle finit par s’imposer dans l’esprit de ses frères, entre amour et trahison. Sa combativité force le respect, car ce n’est pas qu’une histoire d’argent, mais bien d’une défaillance plus profonde, ancrée dans la culture même de terres, qui n’ont plus rien de saint pour leur santé. Alireza (Navid Mohammadzadeh) incarne l’iranien lambda, prêt à se soumettre aux miettes de pain qu’on lui laisse, quitte à retarder sa déchéance et à éliminer tout espoir de réussite. Tout cela, le cinéaste ne manque pas de la capturer frontalement. Il n’est pas question de se montrer furtif, mais bien d’être incisif lorsque les protagonistes entrent en désaccord ou se regroupe à l’unisson. On ne retire aucun prestige aux scènes les plus communes, qui viendront trouver de l’écho à un moment ou un autre du récit, qui dégringole vers le drame ultime à partir d’un mariage, qui est davantage synonyme de divorce, voire de révolte.


Le bouleversant récit de « Leila’s Brothers » (Leila et ses frères) nous remet ainsi un second coup de poing où on ne l’attend pas, dans les sentiments, d’une famille qui masque la sincérité avec des apparences ou des fantasmes. Une vie honnête ne paie pas, mais qu’en est-il de l’unité, de la fraternité ? Tout le monde aura son morceau de culpabilité et de responsabilité à ronger, dans cette histoire de famille. Les figures masculines s’effondrent, avec un temps considérable, mais pas déraisonnable, afin que l’on puisse catapulter l’idée d’une relation manquée entre les personnages et leur environnement, qui les conditionne au naufrage et par défaut à l’incarcération à domicile.

Cinememories
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2022

Créée

le 1 sept. 2022

Critique lue 51 fois

4 j'aime

2 commentaires

Cinememories

Écrit par

Critique lue 51 fois

4
2

D'autres avis sur Leila et ses frères

Leila et ses frères
Procol-Harum
8

Micmac en famille et trouble du Big Mac

“Notre cinéma ressemble au Néoréalisme italien. Nous sommes dans la même situation : nous vivons un effondrement extraordinaire qui abîme les corps, les âmes, qui affecte les relations humaines...

le 5 sept. 2022

31 j'aime

4

Leila et ses frères
dagrey
8

Famille, je te hais!

Leila et ses frères est un drame iranien de Saeed Roustae de 2022. Après avoir observé Téhéran sous l'angle du thriller judiciaire et du trafic de drogues avec le convaincant La loi de Téhéran, Saeed...

le 4 sept. 2022

22 j'aime

16

Leila et ses frères
Theloma
9

Leila et les 40 pièces d'or

Après La Loi de Téhéran en 2021, le réalisateur Saeed Roustaee nous propose un film qui passe au crible de nombreux codes sociaux de la culture iranienne. Patriarcat, éducation filles/garçons,...

le 17 sept. 2022

20 j'aime

4

Du même critique

Buzz l'Éclair
Cinememories
3

Vers l’ennui et pas plus loin

Un ranger de l’espace montre le bout de ses ailes et ce n’est pourtant pas un jouet. Ce sera d’ailleurs le premier message en ouverture, comme pour éviter toute confusion chez le spectateur,...

le 19 juin 2022

22 j'aime

4

Solo - A Star Wars Story
Cinememories
6

Shot First !

Avec une production et une réalisation bousculée par la grande firme que l’on ne citera plus, le second spin-off de la saga Star Wars peut encore espérer mieux. Cela ne veut pas dire pour autant que...

le 23 mai 2018

19 j'aime

2