Parce que son père l'a soumis enfant à une série de tests psychologiques qui l'ont perturbé, Mark Lewis est devenu un être incomplet, impuissant, monstrueux, incapable d'éprouver sans placer entre ses pulsions un écran témoin et protecteur, celui de son imaginaire. Voyeur au plus profond de lui-même, il filme avec sa caméra le visage des femmes qu'il tue au moment de leur agonie, et plus précisément l'horreur et l'effroi dans leurs yeux. En réalité, il les tue par désespoir de ne pas pouvoir les aimer, pour assouvir la satisfaction de ses expériences malsaines de voyeur, et pour les victimes de Mark Lewis, la pire des tortures consiste plus à se voir mourir, car c'est la peur qui secoue Lewis et qui l'oblige à achever ces femmes.
Ainsi, jamais on n'a aussi bien exprimé visuellement que c'est la peur qui attire la mort et non l'inverse. Autant dire qu'un tel sujet a provoqué beaucoup de remous et de dégoût à sa sortie de la part des critiques anglais, et même aujourd'hui, près de 60 ans après, le film fait encore froid dans le dos. Mais il est reconnu comme une réussite du cinéma britannique, réservé toutefois à un public averti par ses côtés dérangeants.
C'est un polar angoissant, un peu à la Hitchcock, qui est une sorte de Fenêtre sur cour ultra pervers, avec des relents de Psychose et qui annonce aussi un peu Frenzy. Mais c'est surtout une réflexion sur la morale du regard, sur le pouvoir des images, en même temps qu'une analyse des théories freudiennes du voyeurisme et de ses névroses, tout en créant un climat d'épouvante. Filmer peut devenir dangereux, regarder c'est encore pire. Jamais le cinéma n'était allé aussi loin dans l'audace monstrueuse à cette époque, et dans le processus d'enregistrement des images qui apporte une fascination morbide. On peut le rapprocher de films plus modernes comme le Videodrome de Cronenberg, et aussi 8 millimètres de Joël Schumacher qui restent également très nauséeux.
On peut s'étonner que le réalisateur ait confié ce rôle de cameraman névrosé à Karlheinz Boehm, le gentil empereur d'Autriche des Sissi, mais le rôle était prévu au départ pour Laurence Harvey qui fut indisponible ; avec ce personnage dérangé, Boehm brisait son image de prince romantique, il s'en sort fort bien, et visiblement ça n'a pas enrayé sa carrière (comme celle du réalisateur Michael Powell) puisqu'il a tourné ensuite dans plusieurs superproductions américaines.

Créée

le 23 mars 2017

Critique lue 585 fois

24 j'aime

2 commentaires

Ugly

Écrit par

Critique lue 585 fois

24
2

D'autres avis sur Le Voyeur

Le Voyeur
Star-Lord09
8

Les yeux sont une fenêtre sur l'âme .

Réalisé par Michael Powell, Le voyeur écope de critiques assassines dès sa sortie en 1960. Passionnés par cette œuvre d'une rare richesse, Scorsese et le nouvel Hollywood le sortent des oubliettes...

50 j'aime

3

Le Voyeur
SanFelice
8

Le cinéma comme expression de la perversion

En 1960, Michael Powell n'a plus besoin de prouver son talent cinématographique. Que ce soit seul ou en un fructueux duo avec Emeric Pressburger, le cinéaste britannique a multiplié les chefs d’œuvre...

le 23 mai 2018

46 j'aime

9

Le Voyeur
Sergent_Pepper
7

Lethal cut

En 1960 sortent simultanément deux films choc, qui font clairement basculer le cinéma dans une nouvelle décennie et préparent le terrain à l’abolition du Code Hays à Hollywood : Psychose, d’Alfred...

le 4 juin 2021

37 j'aime

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Ugly
10

Le western opéra

Les premiers westerns de Sergio Leone furent accueillis avec dédain par la critique, qualifiés de "spaghetti" par les Américains, et le pire c'est qu'ils se révélèrent des triomphes commerciaux...

Par

le 6 avr. 2018

122 j'aime

96

Le Bon, la Brute et le Truand
Ugly
10

"Quand on tire, on raconte pas sa vie"

Grand fan de westerns, j'aime autant le western US et le western spaghetti de Sergio Leone surtout, et celui-ci me tient particulièrement à coeur. Dernier opus de la trilogie des "dollars", c'est...

Par

le 10 juin 2016

95 j'aime

59

Gladiator
Ugly
9

La Rome antique ressuscitée avec brio

On croyait le péplum enterré et désuet, voici l'éblouissante preuve du contraire avec un Ridley Scott inspiré qui renouvelle un genre ayant eu de beaux jours à Hollywood dans le passé. Il utilise les...

Par

le 4 déc. 2016

95 j'aime

45