Le Voyage de Chihiro
8.4
Le Voyage de Chihiro

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2001)

Dépollution du monde et du coeur des hommes

Que dire après un tel revisionnage au cinéma sérieux, hormis qu’Hayao Miyazaki ne fait que confirmer encore une fois son statut et ses lettres de noblesse.

Car en effet, comme souvent, Miyazaki nous délivre ici une œuvre extrêmement personnelle, riche et dénonciatrice, le tout porté par des personnages forts, attachants et tellement bien écrits que l'on se demande comment on peut arriver à un tel niveau de virtuosité. Que ça soit par leur côté parabolique ou physique, tout est là pour que le spectateur empathise, s’identifie et se pose une myriade de questions par un savant procédé dialectique. D’ailleurs, grâce à cette subtile et sublime dialectique qui caractérise notre maître nippon depuis des années , on est sans cesse tiraillé entre la beauté du propos et l'esthétique du métrage, mais également coupable face à cette métaphore du monde et de ses travers qui nous est exposé et à laquelle il nous confronte comme face à un miroir.

Car même si l'œuvre pourra aux premiers abords paraître terre à terre pour certaines personnes pas encore habitué à la minutie de notre génie, tout y est au contraire extrêmement bien agencé, construit et permet de dépeindre un monde triste rempli de vices, de destruction et de surexploitation des ressources (tant sur le plan écologique qu'humain). Rajouté à ça le don venu des cieux qu'a Hayao pour toujours permettre une multitude de lectures dans son récit, et vous avez là à faire à un des plus grands chef d'œuvre d'animation de tous les temps qui, comme par enchantement, enchantera tant les petits pour son aspect visuel et fantastique que les grands pour son aspect visuel et sa profondeur. C'est simple mais de toute ma vie, je crois ne jamais m'être autant attardé sur des planches tant celles-ci sont riches, détaillés et porteuse de paraboles si profondes qu'on en perdrait presque la tête.

D’ailleurs, pour imager ces dites paraboles, il y a par exemple la notion de statut social qui est une thématique prépondérante dans le métrage et quasi obsessionnelle quand on analyse la carrière d’Hayao. En effet, si on regarde de plus près, c’est toute une multinationale et les fondements du capitalisme qui nous sont montré, pointé du doigt, et critiqué par l’intermédiaire de la salle des bains de Yubaba. Ces mêmes multinationales qui nous exploitent, tout comme les ressources, et vous donne l’impression de faire partie d’une grande famille, alors qu’elles sont uniquement là pour vous déshumaniser par le simple fait de réduire votre personnalité à un numéro de matricule (Chihiro devenant Sen, et les autres personnages ayant aussi perdus leur nom), chose dont les clients ne sont évidemment pas victimes puisqu’ils ne sont que consommateurs, et donc externe à toute cette arborescence.

Pour étayer encore plus cette thèse, il suffit just d'observer le personnage du Sans-Visage, qu’on pourrait facilement associer aux personnes sans emploi, et donc sans réel statut social, coincé entre deux royaumes et condamné à errer à l’intérieur de ce train (de vie) sans destination.

Cependant, malgré cette précarité pécuniaire et sociale, c’est justement ces mêmes personnes que Miyazaki souhaite mettre en avant ici. Ces mêmes personnes qui, d'ordinaire, sont considéré comme des parias car n’ayant accès à aucun statut professionnel. Ces mêmes personnes qui, dans leur malheur, n’ont pas été influencé par la richesse et ont pu garder une part d'humanité bien ancrée en eux plutôt que d'être modelé par un ou quelconques supérieurs hiérarchiques. D’ailleurs, si on regarde encore plus attentivement, le Sans-Visage en est une parfaite métaphore mais du côté du consommateur cette fois.

Explications :

Au début du film, on le voit seul, errant, vu comme un pestiféré alors qu'au fond c’est justement tout l’inverse. Puis, à l'instant même où il s'introduit dans les bains pour consommer et avale le crapaud, ce qui le fait du coup s'approprier l'obsession de celui-ci pour les pépites d'or, il est quasi instantanément perverti par toute cette richesse, par tous ces artifices qui l’entoure et perd de ce fait graduellement toute trace de ce qui caractérisait autrefois son humanité. Il n’y a justement qu’à la fin que, comme pour Haku et sa quête de pouvoir, le Sans-visage arrive par l’intermédiaire de Chihiro, âme pure d’enfant qu’on ne peut pas acheter, à laver le mal coincé au fin fond de ses entrailles et à se libérer de cette gangrène qui le rongeait jusqu’à la moelle.

Finalement, pour renforcer davantage sa haine du capitalisme, de la surproduction et par conséquent de la pollution (l’esprit de la rivière rempli de crasses), il y a également du côté de Yubaba, cette grande sorcière tyrannique au long nez (Dieudonné en sueur), uniquement aimable quand ça sert son propre intérêt, une représentation évidente de tous ces patrons véreux, totalement obsédés par les chiffres, empli de pouvoir, imbu d'eux-mêmes et dirigeant d'une poigne de fer leur main d’œuvre en leur faisant constamment ressentir la verticalité flagrante qui les séparent et en délaissant totalement l’aspect humain qui normalement les caractérisaient avant leur arriver comme Chihiro. Je vais m’arrêter là sinon je vais devenir fou tout le week-end…

Merci Mimi pour tout l'amour que tu as donné à tes films plutôt qu'à ton fils, et donc à nous spectateur. Grâce à toi, tout comme Chihiro durant son périple, tu nous fais tous grandir à ta manière grâce à l'expérience que tu nous invites à vivre. Je ne pense sincèrement pas être en mesure d'exprimer pleinement toute ma gratitude et mon amour tant sur certains sujets les mots me manquent devant tant de densité. Tu as toujours été un pionnier dans ton art et, si on regarde attentivement, par un touchant processus de transposition, tout cet amour que tu portes en toi pour ton art, comme cité plus haut, c'est vers nous que tu le rediriges et je ne pense personnellement pas que la majorité s'en rende compte. Mais ne t'en fais pas, même si des frontières et des océans nous séparent, je suis intimement persuadé que, au fond de ton cœur si grand, tout cet amour qu'on te renvoie, tu le reçois également en retour.

Merci toi d'être toi, de m'avoir fait rêver durant toute mon enfance et à l'âge adulte et d'avoir ouvert les yeux aux gens, derrière tes petites lunettes si caractéristique, sur ce qu'était et deviendrait ce monde cruel dans lequel nous vivons, avec ses problématiques ainsi que ses enjeux. Espérons qu'après cette vie si dure dont tu as été spectateur, noyé notamment par la guerre, les conflits, la surindustrialisation naissante et tout ce que tu as subi et raconté au travers de tes films, tu pourras, après les avoir si magnifiquement expurgé sur papier, t'en aller en paix au royaume des cieux complétement libéré, serein, purgé, et satisfait du travail de transmission intergenerationnel que tu as accompli. Car forcément ça paraît évident, quand on te connaît, que tu es sans l'ombre d'un doute un des hommes qui mérite le plus notre respect et l’un des hommes les plus important et influent de ce siècle, du précédent et même sûrement de ceux qui nous succèderont.

Vivement que tu nous emplisses d'amour avec ton dernier film une dernière fois.

Ton ami et fervent admirateur..

Omar

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le 3 mars 2023

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Om3arbi

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