Quand chaque "morts" vous tuent toujours un peu plus...

Il y a peu de films et de musique dans une vie qui vous laissent des images et des sons ancrées dans votre mémoire de manière indélébile: Le Vieux fusil en fait partie.
Beaucoup de choses plus ou moins bonnes ou mauvaises ont été dites sur le sens profond a donné au message délivré par ce film, mais il n'en reste pas moins que c'est une oeuvre absolument marquante à cause de son impact psychologique et émotionnel puissant. Cela pousse à la réflexion personnelle en nous mettant en face de notre propre violence dans pareille situation; ce que notre conscience n'oserait même pas imaginer, même pas un instant, dans notre vie de tous les jours. Car Robert Enrico, au travers de son récit, sans concessions et très réaliste, délivre une vérité profondémment brute et au-delà de la cruauté sur les aspects les plus noirs de l'être humain.
Il y a différents niveaux de lectures que l'on se situe du point de vue de la violence gratuite et sans but, donc barbare, des soldats nazis ou de la vengeance personnelle et meurtrière de Julien Dandieu (Philippe Noiret), qu'on serait tenté de cautionner car mue par de "bonnes raisons". Sauf qu'au final, le massacre des gens du village par les soldats nazis et le massacre de la famille de Julien (sa femme, Clara - Romy Schneider, et sa fille) paraît tout aussi important et mis sur le même pied d'égalité que la vengeance personnelle et destructrice de Dandieu.
Robert Enrico ne cautionne pas, il donne à voir de façon lucide, le résultat d'une violence inimaginable sur un monsieur tout-le-monde, qui pourrait être vous ou moi, tranquille et sans histoires, refermé sur son confort autant affectif que matériel et social, de manière très hédoniste, pacifique par pur égoïsme, parce qu'il ne souhaite pas que l'on dérange ce bonheur confortable et harmonieux.
La cruauté peut engendrer la cruauté. Et cette cruauté est la même qu'elle soit totalement gratuite ou rendue "morale" par des mobiles affectifs donc "acceptables". Certes, Julien Dandieu est profondément sympathique, et nous éprouvons une empathie considérable pour le traumatisme inhumain vécu par cet homme dévasté, véritable mort-vivant, mais sa réponse à la violence, est tout aussi immorale que la violence gratuite des nazis. D'ailleurs, à la fin du film, lors d'une scène très émouvante avec son ami médecin qui vient le chercher, l'on s'aperçoit que Dandieu ne pourra jamais accepter l'inacceptable: la mort de sa femme et de sa fille et ce qu'il vient de commettre. Sa vengeance est son tombeau en tant qu'être humain, il ne lui reste plus que la survie, tel une ombre évoluant parmis les vivants. Le traumatisme vécu et agît l'a véritablement "tué" et rien ne pourra venir réparer cela. Constat du message délivré par Enrico qui ne juge pas: la violence dans tout ses aspects les plus extrêmes aboutit souvent à la mort autant physique que psychique, ce qui est d'autant plus souligné par l'image de générique de fin: Julien, sa fille, Clara en ballade à bicyclette, et leur chien Marcel, du temps du bonheur serein et sans tâches, sur le thème mélancolique inoubliable de François de Roubaix. Le spectateur s'effondre littéralement en larme.

On pourrait reprocher à Enrico de jouer sur la corde sensible, dans la construction même du film avec les scènes de flash-backs sur la rencontre et la vie de Julien et Clara, mais tout se révèle à la bonne distance, car ces scènes sont nécessaires pour comprendre les mobiles psychologiques de la vengeance meurtrière de Julien Dandieu.
Mais revenons sur le traitement qui est fait de la violence dans le film: tout est montré, rien ne nous est suggéré, délivré dans sa réalité brute et sans concessions. Difficile à voir, souvent insoutenable mais nécessaire et pas "gratuit" et dans la surenchère comme j'ai pu le lire dans certains "papiers". En somme une mise en scène savamment dosée entre émotion et distance.
Je ne reviendrai pas sur la prestation exceptionnelle de Philippe Noiret en homme brisé (la meilleure de sa carrière et l'une des meilleures de l'histoire du cinéma) et l'investissement hors-norme de Romy Schneider dans les scènes les plus insoutenables du film, tout a été dit et mieux que moi.
Un classique indémodable, qui n'a pas vieillit, toujours aussi fort; Une oeuvre unique et à part dans le cinéma français (ce n'est pas pour rien qu'elle a reçu le César des Césars par la profession). Le meilleur film de Robert Enrico. Un indispensable chef d'oeuvre qu'il faut avoir vu une fois dans sa vie.

Créée

le 29 mars 2013

Critique lue 1.5K fois

14 j'aime

Critique lue 1.5K fois

14

D'autres avis sur Le Vieux Fusil

Le Vieux Fusil
Ugly
9

Noiret et sa pétoire

Le Vieux fusil fut un énorme succès en 1975 et fut si mes souvenirs sont bons le premier césarisé, puisque la cérémonie des Césars venait de naître la même année, je revois encore Jean Gabin...

Par

le 10 mai 2019

49 j'aime

31

Le Vieux Fusil
Grard-Rocher
8

Critique de Le Vieux Fusil par Gérard Rocher La Fête de l'Art

C'est du terrible massacre survenu à Oradour-sur-Glane, l'après-midi du 10 juin 1944, dont s'est inspiré Robert Enrico pour réaliser ce film émouvant et terrifiant. Il faut rappeler que ce crime...

48 j'aime

16

Le Vieux Fusil
SanFelice
8

Romy Schneider, la lumière et la grâce

Même si la carrière de Robert Enrico reste riche, avec des films d’aventures à la française (Les Grandes Gueules, Les Aventuriers, Boulevard du Rhum), des polars (Pile ou face) et même un grand film...

le 28 nov. 2020

30 j'aime

3

Du même critique

Belle de jour
GuillaumeRoulea
8

Ombres et Lumières

En ayant vu pour la énième fois, "Belle de jour", je me demande à quel point ce film de Luis Bunuel, n'est pas à l'origine du "malentendu" qui existe entre le public et Catherine Deneuve et à quel...

le 9 juil. 2013

45 j'aime

2

Le Premier Jour du reste de ta vie
GuillaumeRoulea
8

Un film qui vous fait aimer la vie et qui vous envoie des ondes d'amour

Succés critique et populaire surprise pour ce film français sorti en plein été 2008 qui a fait plus d'un million d'entrées. Cela fait la 5ème fois que je le regarde, et je ne m'en lasse pas. Certes...

le 10 sept. 2013

32 j'aime

6

Les Choses de la vie
GuillaumeRoulea
9

Romy, Piccoli, Sautet, Sarde. Première....

Une question me taraude: pourquoi ce film sans véritable histoire (en apparence) reste et restera un "must" du cinéma français? Tentons d'y répondre. Mais avant il est intéressant de faire un...

le 21 avr. 2014

30 j'aime

2