Le Trésor de la Sierra Madre n’est pas un western, certes.

Plutôt un film d’aventures, très rythmé, comme John Huston aimait à en faire à ses heures (ainsi, plus tard, l’Odyssée de l’African Queen). Et le choix du lieu, le Mexique et l’Amérique latine, comme espace de refuge, de survie ou de perdition de toutes les épaves, de tous les clochards, venus des USA mais aussi d’Europe (en France on tournera bientôt les Orgueilleux et le Salaire de la peur), cet exotisme est bien dans l’air du temps.

Mais le western, et même le plus classique, n’est pas si loin. Ce Mexique, aux forêts impénétrables aux montagnes arides, aux déserts hostiles et aux bandits impitoyables évoque évidemment l’ouest inconnu, au-delà de la Pecos River. John Huston en réalité revisite les codes du western traditionnel. Les peuplades mexicaines, à la langue inconnue des nouveaux aventuriers, aux codes culturels mystérieux et impossibles à contourner, ce sont évidemment les indiens des westerns. Et ils vont même découvrir leur sorcier, leur homme-médecine avec le personnage de Howard (Walter Huston, le seul précisément à connaître ces codes), et qui finira même, probablement, par devenir juge à la façon de Roy Bean (à qui plus tard John Huston consacrera un film) dans ces espaces encore vierges ….

Le Trésor de la Sierra Madre va encore plus loin. Le film, à aucun moment ne cherche à glorifier les valeurs de la civilisation américaine, ni d’aucune civilisation d’ailleurs, ni le triomphe de l’ordre et de la justice contre le chaos. On est chez John Huston, ce n’est pas le genre de la maison. Entre individualisme forcené et frontières de la folie, ses personnages sont cyniques et violents ; On est loin des héros traditionnels de l’Ouest, nobles, lisses et toujours propres sur eux.
Avec le trésor de la Sierra Madre, on échappe à tout schéma manichéen, pour découvrir des personnages finalement très complexes – des anti-héros ambigus et complexes – à commencer par le personnage de Humphrey Bogart, rendu fou par la soif de l’or, et pourchassé par sa propre conscience – « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Complexes et humains, aubout du compte - « Cela aurait aussi bien pu être nous » … conclura Howard / Walter Huston.

Cette absence totale de toute morale, finalement très humaine et très morale sera aussi celle des westerns italiens – où le bien et le mal se révèlent impossibles à dissocier.

Même au plan formel, le Trésor de la Sierra Madre semble en avance de plusieurs décennies – entre paysages imposants, à perte de vue, surtout lorsqu’il s’agit du désert, et inversement plans très resserrés, dans lesquels le fond le plus souvent très sombre permet de scruter les visages à travers des gros plans saisissants, avec des plongées et des contre-plongées constantes et plus qu’expressives, John Huston annonce tout le lexique de Sergio Leone,

- Ces gros plans toujours, qui creusent, détaillent des gueules, des tronches, des trognes souvent horribles, terrifiantes ou terrifiées,
- Ces personnages sales, en haillons, plus que réalistes au bout du compte,
- Et jusqu’à la structure profonde du film construit autour de trois personnages très complémentaires …

… J’ai la conviction qu’il y a une véritable filiation entre le Trésor de la Sierra Madre et le Bon , la brute et le truand – non seulement à travers l’histoire conjointe et parallèle des trois personnages, mais jusque dans ce parcours terrifiant dans la forêt, le désert, la soif, l’absence absolue de sommeil de Bogart et de Tim Holt qui semble annoncer, à la lettre, le parcours de Clint Eastwood et d’Elli Wallach à l’extrême du désert.

Le Trésor de la Sierra Madre est tout à fait révélateur de l’art et de la maîtrise de John Huston, sitôt qu’il veut vraiment s’en donner la peine, avec des plans inoubliables – ces gros plans sur les visages, déjà évoqués, tellement expressionnistes, mais aussi d’étonnants avant-plans, une main crispée sur une machette, un feu qui envahit l’écran comme une image de l’enfer, un reptile bariolé, ou encore un chapeau ou un sac éventré emportés par le vent, ou enfin le reflet sidérant d’une silhouette puis d’un visage plus que menaçant dans une eau très trouble.

Et il y a surtout une ambiance, là encore très en avance – cynique sans doute, par le contraste très marqué entre cruauté et humour – contraste qui sera aussi une des caractéristiques essentielles du western italien.

« …. Et tu retourneras poussière … » Il s’agit ici moins de l’homme renvoyé à sa condition première, que de l’or dispersé par le vent. La Bible (à laquelle John Huston consacrera un film), peut-être, mais au sens premier. Et dans le désastre final, qui touche tous les personnages, on trouve sans doute la plus belle expression de l’ironie (mais sans sarcasme, sans causticité, très humaine en réalité) qui caractérise toute l’œuvre de John Huston et qui éclate avec le rire final et tonitruant de son père, bientôt repris par tous les survivants. Et les mots sont tout aussi percutants :

« Ris avec moi, mon gars (et ce pourrait aussi bien être le spectateur …), ça, c’est une bonne blague que nous joue le bon Dieu, le destin ou la nature, comme tu voudras. Ca s’appelle avoir une sacrée dose d’humour ; notre or est reparti là où on l’avait ramassé. … des mois de souffrance et de travail pour en arriver là » … Et le rire reprend en cascade.

Le Trésor de la Sierra Madre n’est pas un western évidemment. C’est une œuvre extrêmement personnelle, pleinement maîtrisée, d’un grand metteur en scène.
pphf

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