Le film de John Huston, avec un titre aussi évocateur et une renommée presque pesante, avec le temps qui passe et qui laisse infuser ces sensations dans la partie cinéphile de l'inconscient, conduit de manière presque obligatoire à construire des attentes sous diverses formes — des attentes qui en général enflent avec le temps et sont susceptibles voire vouées à être déçues, d'une manière ou d'une autre. Mais rien de tout cela ici. Le Trésor de la Sierra Madre emprunte des directions vraiment étonnantes, agréable mélange des genres à la croisée du western et du film d'aventures, avec une histoire originale autour des orpailleurs et un trio de portraits extrêmement soignés. Il m'en aura fallu, du temps, et le chemin aura été long, sinueux, et semé d'embûches, mais après Gens de Dublin, Le Faucon maltais ou encore À nous la victoire, le voilà le film signé John Huston que j'apprécie directement et sans réserve.


Le Trésor de la Sierra Madre, au-delà de son titre relativement explicite, est une magnifique peinture de l'échec, à des degrés divers, au terme d'un long cheminement jalonné par de multiples épreuves et autant d'enseignements. Dans son dépaysement lié aux décors naturels sud-américains, le film en rappelle un autre sorti quelques années plus tard, Le Salaire de la peur de Clouzot (1953), avec un petit groupe d'européens attirés par l'appât du gain sous de telles latitudes. Mais ici, dans le cadre des années 20 et des mirages dorés véhiculés par les montagnes mexicaines, dans la logique des genres multiples, le destin des trois protagonistes prend tour à tour la forme du conte moral, de la tragédie et de la farce. Trois personnages qui incarnent trois visions bien différentes de l'aventure, aussi : il n'en retireront pas du tout la même chose.


Évacuons d'abord le conte moral, bien présent à travers le sort réservé à Humphrey Bogart (aka Fred C. Dobbs), victime évidente de ses vices apparents même si l'illustration se fait en dehors de toute lourdeur démonstrative. Un personnage tout à fait secondaire au moment de son intervention, Howard (génialissime Walter Huston, le propre père de John Huston), annoncera cette sentence au tout début du film, comme une prophétie : la ruée vers l'or finit toujours par gangréner la santé mentale des apprentis aventuriers. Mais le précieux métal n'aura une influence notable et irréversible que sur l'un des trois personnages principaux, Dobbs, et accompagnera son évolution psychologique jusqu'à la folie.


La tragédie, ensuite, où le film surprend par ses accès de violence subite au sein d'un récit que l'on aurait pu croire inoffensif. Les menaces des bandits sont sérieuses et coûteront la vie à Cody dans un premier temps, par la poudre, redéfinissant les rapports du groupe, avant de s'abattre sur Dobbs à coups de machette. La pression qu'exercent les rochers dorés sur l'équilibre des relations entre les trois chercheurs d'or est soigneusement introduite, sans hâte, en prenant le temps de décrire son immixtion.


Et enfin la farce, avec les premières suspicions au sein du groupe, alors qu'ils sont prêts à dormir dans leur tente, déclenchant une série de rondes nocturnes assez comiques : la méfiance des uns (principalement celle de Dobbs, évidemment, et Bogart surprend vraiment à ce titre, dans ce rôle de parano, tour à tour menaçant et attachant) alimente celle des autres dans une boucle infinie. Mais c'est surtout ce superbe fou rire final de plus d'une minute : "Oh, laugh, Curtin, old boy, it's a great joke played on us by the Lord, or fate, or nature, whatever you prefer but whoever or whatever played it certainly had a sense of humor. The gold has gone back to where we found it. This is worth 10 months of suffering and labor, this joke is." Quand Howard lâche cette tirade entre deux immenses éclats de rire, il est bien difficile de ne pas en faire autant. L'ironie de la situation déclenche un rire salvateur, après deux heures de tension, alors que la poudre dorée durement acquise finit balayée par le vent comme une vulgaire poussière. On réalise alors la valeur d'une telle expérience pour le troisième personnage, Curtin (Tim Holt), à mi-chemin entre l'apprentissage accéléré et la transmission quasiment filiale.


La fuite en avant qui accompagne le pur attrait du gain, l'étape nécessaire pour la réalisation réfléchie d'un projet, et la simple raison de vivre de l'aventurier : les trois personnages offrent à travers leur rapport à l'or et à sa quête un spectre très large d'interprétations, très éloignées des canons habituels du genre. Mais c'est le personnage de Howard (interprété par Walter Huston, encore une fois, le père du réalisateur : cette configuration ne doit pas être totalement étrangère à la réussite du film) qui reste le plus savoureux. Son attitude terriblement naturelle est excellente, impressionnante même, que ce soit en tant qu'expert en localisation des précieux filons ou confortablement allongé dans un hamac, dans un état de jouissance apaisée et de joie de vivre communicative. Son éclat de rire final est une vraie perle.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Tresor-de-la-Sierra-Madre-de-John-Huston-1948

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le 25 juil. 2017

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