Bellocchio, sans conteste l'un des meilleurs cinéastes italiens encore en vie, n'a cessé de surprendre les cinéphiles dans le choix de ses sujets, de Les poings dans les poches (la folie) a Vincere (Mussolini) en passant par Fais de beaux rêves (le drame familial). Avec Il Traditore, il reste fidèle avec sa volonté de se renouveler en choisissant comme protagoniste Buscetta, un mafioso repenti de La Cosa Nostra, tout en gardant sa manière de penser le cinéma, plus dans la réflexion que dans l'image.


En effet, si vous vous attendez à un film de mafieux à la Scorsese, avec moult rebondissements et une action dense du style Casino ou Les Affranchis, ou une intrigue complexe et une violence gratuite comme dans la série (excellente par ailleurs) Gomorra, vous serez bien déçus. Bellocchio, en tant que cinéaste reconnu, à part entière, cherche bien sûr à s'éloigner de la mimesis, de la pâle copie, et prétend montrer les agissements de ce grand bandit sous un angle plus personnel: celui de la morale.


Ainsi, bien que la première partie du film nous montre les règlements de compte à la chaîne et la barbarie grandissante de ses acteurs, ce n'est que pour poser le récit à venir, beaucoup plus calme, intérieur comme Bellocchio sait bien le faire, basé sur la psychologie du / des personnages plutôt que sur ses / leurs actes. En l'occurrence, celle de Buscetta, pentito (repenti) comme seule la mafia sait le faire, volontairement exilé - tant sur le plan spatial que mental – de sa Sicile natale, tiraillé par le dilemme sacrifice de la famille ou sacrifice de soi, peu à peu tourmenté par l'idée du mal commis mais aussi subi et même, à une plus vaste échelle, du mal de la société incarnée par ses politiciens, s'interrogeant sur les différents degrés du Mal, ses limites et par conséquent sur la déontologie de sa «profession» et l'éthique à avoir, finissant forcément paranoïaque et déçu par l'humanité.


Néanmoins, il faut bien avouer que Bellocchio, malgré la longueur du film et donc le temps assez long dont il dispose, faillit à sa tâche dans le sens où il ne livre ni un film d'action, ni une réflexion assez convaincante sur le Mal et la nécessité de la morale, donnant plutôt l'impression de survoler toutes les questions qui auraient mérité un traitement plus approfondi, comme Dostoïevski sut si bien le faire dans Crime et Châtiment, roman qui inspira Match Point où W. Allen parvient à bien retransmettre les tourments intérieurs d'un personnage en proie à une sourde lutte morale le faisant sombrer progressivement dans une folie passagère.


Il reste toutefois des scènes réussies, cyniquement drôles comme celles du tribunal, absolument fellinienne, ou cette image/rêve finale du chien (symbole de la fidélité) qui fuit (et donc trahit) devant le premier crime, l'innommable, dont la culpabilité le hante à jamais.


Une tentative plutôt manquée de Bellocchio, même si derrière son manque de profondeur le film garde une certaine qualité.

Marlon_B
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le 21 oct. 2019

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Marlon_B

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