Le Train
7.4
Le Train

Film de John Frankenheimer (1964)

La valeur de la vie ou le prix de l'œuvre ?

Réalisé par John Frankenheimer, Le Train voit son acteur principal Burt Lancaster, incarner le rôle de Paul Labiche, leader d'un bastion de résistants, amoindri dans la France encore occupée d'août 1944. Pliant bagage suite au débâcle amorcé par le débarquement, l'un des colonel de l'armée allemande ( Franz von Waldheim/Paul Scofield) décide de rapatrier avec lui à Berlin de nombreuses œuvres d'arts françaises, entreposées au musée du Jeu de Paume, à Paris. La directrice du musée va alors demander à Labiche et ses hommes d'empêcher le convoie d'arriver en Allemagne. D'abord, réticent devant le risque encouru pour sauver “quelques tableaux” Labiche acceptera finalement de mener à bien la mission, afin principalement que personne ne soit mort en vain.

Le long métrage s'ouvre d'abord sur un message dédiant le film à l'entièreté des cheminots, sans qui le film n'aurait pas été possible et à l'ensemble de leur travail, à toute époque et tout lieu. Ce message introductif est en réalité bien moins anodin qu'on pourrait le penser, en effet il apparaît assez clairement tout au long du film, que celui-ci accorde une grande place et un certain sens du réalisme ainsi que de la crédibilité aux locomotives en elles-mêmes et aux mécanismes ferroviaires dans leur ensemble. Ainsi par exemple, le film prend le temps dans l'une de ses séquences de mettre en scène dans une gare de triage les manœuvres effectuées afin de changer la locomotive attribuée à un convoi de wagon. On nous montre la complexité apparente des changements de voies, l'aiguillage ou encore les passages à niveaux manuels. Par ailleurs, il faut savoir que cet intérêt et ce sens du détail est également passé par la construction de certaines gares, la destruction de certaines abandonnées qui avait donc été suffisamment réhabilitées pour qu'elles paraissent crédibles à l'écran ou encore la mise en scène d'accidents, entre locomotives, à grandes échelles. Ainsi beaucoup de temps et d'argent ont été alloués, cela confère un certain réalisme au film et met en valeur le soin apporté à la reconstitution historique ; et permet également, à d'autres moments du film, d'apporter un suspens et une tension bienvenue.

Inspiré d'une histoire vraie, bien qu'en réalité les tableaux étaient apparemment de moindre renommée ; on sent ainsi qu'un grand intérêt a été accordé au réalisme et à la plausibilité des événements qui nous sont dépeints. Outre le soin accordé à ce qui concerne le milieu ferroviaire, le fait d'avoir composé le casting d'acteurs francophones dans un film se déroulant en France, fait assez plaisir à voir. Cela donne ainsi l'occasion de voir des acteurs davantage connus comme étant des seconds couteaux du cinéma français (Jacques Marin, Albert Rémy ou Charles Millot) donner la réplique à Burt Lancaster, tandis que d'autre acteur beaucoup plus connus partage l'affiche avec l'acteur hollywoodien, comme Jeanne Moreau, mais surtout Michel Simon, bluffant de crédibilité dans son rôle de cheminot, rôle malheureusement apparemment écourté pour des raisons contractuelles, d'où sa fin assez radicale.

Cependant, John Frankenheimer ne se contente pas de faire ici un film d'action historique divertissant ; il en profite pour introduire une réelle réflexion peut-être inattendue, mais loin d'être inintéressante, sur la place et l'importance de l'art, non pas seulement dans la guerre en particulier, mais dans la société et sur la vie de manière plus générale. Ainsi si des individus se sont fait résistant au cours de la guerre c'est bien sûr pour protéger ceux que les nazis voulaient tuer, mais aussi la France, sa liberté, son identité nationale… de fait quelle est la place de la culture et ici de la peinture dans tout ça ? La conservatrice du musée le dit au début du film, si les résistants doivent mener à bien cette mission c'est pour préserver “la culture/patrimoine français(e).” Néanmoins, le résistant incarné par Lancaster ou le cheminot par M. Simon, ne nous sont pas présentés comme des amateurs d'arts, au contraire leur “inculture” dans ce domaine est soulignée par d'autres protagonistes du récit. Pourtant, c'est cette idée de préservation de la culture qui les convaincra - au moins en premier lieu - de retarder le train, l'empêcher d'arriver en Allemagne…Cette conviction est cependant remise en doute, notamment par le général allemand qui demande à LaBiche s'il sait au moins lui-même réellement pourquoi il a fait tout cela, à cet instant Labiche semble avoir agi pour que personne ne soit mort en vain, cependant ses actions auront conduit à davantage de mort involontaire. C'est alors la mise en scène qui remet cette conviction en question, alternant succinctement entre des plans sur des corps étendus inertes et des caisses de bois où sont inscrits des noms de peintres célèbres, vient alors la question subsidiaire, l'œuvre de quelques-uns valaient la mort de quelques-autres ? Sans apporter de réponse tranchée - n'existant pas de toute façon -, le film s'achève sur un Burt Lancaster clopinant sur une route déserte, des caisses remplies d'œuvres d'arts et des corps de civils ayant été pris pour otage précédemment, abandonnés sur le bas côté d'un chemin de fer où gît une locomotive ayant déraillée.

RangDar
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le 24 janv. 2023

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