Bergman est définitivement l'un des plus grands génies de l'histoire du cinéma. Il ne cesse d'impressionner, de fasciner, d'envoûter son spectateur dès lors qu'il commence à filmer les problèmes (jalousie, désir, possession, concurrence, amour, déception, haine, etc.) au sein d'une famille, les problèmes de communication, les nœuds psychologiques, le féminin.
Rarement quelqu'un a réussi à filmer de manière aussi exemplaire la vie d'une femme. Bergman est un réalisateur particulièrement soucieux du féminin, on sent qu'il essaye sans cesse d'explorer ces mystères, et il le fait presque toujours avec une grande virtuosité.


Si l'on retrouve bien des thématiques communes dans ce film avec d'autres œuvres magnifiques de sa filmographie comme A travers le miroir, Cris et Chuchotements ou encore Sonate d'automne, Le Silence est celle que j'ai le plus apprécié sur l'impossibilité entre deux personnes - pourtant si proches l'une de l'autre - de se comprendre, et finalement, sur l'échec terrible de la communication et la souffrance psychologique que cela peut engendrer dans la vie de ces deux femmes.


L'échec de la communication :


La communication peut être très complexe entre deux individus qui ne peuvent pas toujours se dire réellement les choses de manière frontale, et ce film illustre à merveille cette complexité de la vie entre deux individus. Effectivement, les deux sœurs qui devraient être pourtant si proches n'ont jamais été si lointaines.
Bergman le montre de façon très habile à travers les discussions qu'Ester peut avoir avec l'étranger qui parle en langue étrangère, car finalement, elle a plus de facilités à communiquer avec lui malgré la barrière du langage plutôt qu'avec sa propre sœur qui parle bien évidemment la même langue. On comprend alors que Bergman s'intéresse à nouveaux frais à la dimension psychologique, voire psychanalytique de ces personnages qui se construisent des névroses, des obsessions en étant dans l'incapacité de passer le cap de la communication.


Une histoire complexe qui ne cède pas à la facilité :


Ce qui est également fascinant et ajoute grandement de l'efficacité et de la force au film, c'est le fait de ne pas tomber dans une histoire totalement binaire où nous aurions le personnage d'Ester, complètement victime de sa sœur diabolique et qui serait la seule à plaindre. Pas du tout. Bergman ne cède jamais à la facilité scénaristique traditionnelle. Anna est elle-même un personnage profondément torturé qui a du également subir certaines choses provenant de sa sœur Ester qui n'a pas certainement pas tout réussi quand elles étaient plus jeunes.
Malheureusement, Anna ne fait pas ce qu'il faut pour arranger la situation... Elle construit sa vie contre sa sœur, fait tout ce qui est dans son pouvoir pour la rendre jalouse, pour lui montrer qu'elle peut faire mieux qu'elle, qu'elle séduit davantage, qu'elle s'est accomplie en tant que mère, etc.
Mais lors d'un terrible plan où on la voit s'effondrer en larmes et en cris auprès d'un homme inconnu qui la considérera seulement comme objet, on comprend toute la détresse de cette femme, on comprend à quel point elle s'est enchainée dans cette vie contre-productive tout ça pour se prouver des choses à elle-même, et surtout, prouver des choses à sa sœur.
D'ailleurs pour ce qui est d'Ester, on ne sait pas toujours ce qu'elle attend de sa sœur, le mystère demeure et l'ambiguïté est toujours de la partie. Elle peut avoir une certaine forme d'attirance pour Anna, mais cela cache peut-être ce qu'il y a de plus enfoui véritablement en elle, on ne peut pas uniquement penser qu'il y a le désir d'une relation incestueuse impossible avec sa sœur, c'est à mon avis trop réducteur.


La névrose, le cri, les larmes - l'effondrement d'une femme :


Par un jeu d'acteur de très haute volée, Ingrid Thulin qui interprète le personnage d'Ester, parvient à rendre compte de la situation terrible dans laquelle se trouve son personnage.
Ses cris et ses larmes dans ses moments de rupture sont d'une puissance artistique incroyable. Pour tout dire, on ne peut pas y demeurer insensible tant ils sont captés d'une main de maitre par Bergman.
Les névroses sont tellement fortes qu'elle ne peut pas ne pas craquer. Ses expressions de visage sont d'une justesse remarquable, on peut apercevoir par moment des mouvements de bouche névrotiques où l'on comprend qu'elle est littéralement bloquée psychologiquement avec sa sœur.


L'enfant, élément central du drame :


L'enfant d'Anna a un rôle important dans cette histoire, il devient paradoxalement la voie par laquelle la communication peut passer entre les deux sœurs, les rares fois où cela sera possible.
De façon générale, son comportement, parfois très énigmatique et bizarre - notamment lorsqu'il déambule dans les couloirs avec une arme à feu - témoigne de l'échec de l'éducation d'une mère débordée par son instabilité psychologique permanente. Toutefois, Bergman montre intelligemment que cet enfant ne souffre pas d'une mauvaise éducation au sens où on lui assimilerait mal les règles de vie en société, c'est plutôt un enfant troublé par ce qu'il voit, à savoir, une mère qui a des relations sexuelles presque sous son nez avec des hommes inconnus. L'enfant est décontenancé par cette situation.
L'enfant peut être également perçu comme l'élément qui manque cruellement à la vie d'Ester, à la vie d'une femme qui souhaite en avoir. Encore une fois, sa sœur Anna a réussi, et elle ne manquera jamais une occasion pour lui montrer implicitement.
Mais ce petit bout de chou est terriblement attachant. La relation qu'il noue avec sa tante Ester est si touchante et intense... Le dernier plan du film est d'ailleurs magnifique pour illustrer la force de cette relation, où on le voit lire cette lettre composée d'une seule phrase simple, le regard captivé par cette dernière.


Quelques mots sur le plan formel :


Tout cela est magnifié par la gestion de la durée des plans, qui est d'une maîtrise absolue dans ce film où il tire légèrement en longueur afin de s'attarder particulièrement sur un visage, une action, un souffle d'un personnage afin de capter toute la substance de ce que cela dégage.
Bergman nous démontre également à quel point il est l'un des cinéastes les plus impressionnants en termes de qualité des plans et de la gestion de sa photographie. C'est un noir et blanc sublime que nous avons sous les yeux. J'ai été émerveillé par tout ce qui est filmé dans ce film. Tout est réussi, tout est beau, tout est profond, tout est art.


Enfin, je finirai par dire que ce film symbolise bien tout ce que j'aime dans le cinéma. J'aime quand un cinéaste s'attarde sur la dimension psychologique de ses personnages, mais à travers ce film, on atteint particulièrement des sommets de puissance artistique. C'est une œuvre qui m'a donc profondément touché, bouleversé, car la forme accompagne le fond d'une manière magistrale tout au long de ce chef-d'œuvre. Pour toutes ces raisons, Le Silence est certainement mon deuxième film préféré du maitre suédois pour le moment, je lui accorde même la note ultime de 10. Une œuvre qui brille de mille éclats.

Tystnaden
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le 4 oct. 2020

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Tystnaden

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