Je remarque, au fur et à mesure que je découvre les réalisateurs de talent, que nombreux sont ceux qui s'opposent, à travers leurs oeuvres, au manichéisme basique. Tout n'est pas noir ou n'est pas blanc. Cela s'oppose joyeusement aux couleurs de l'image, très souvent en noir et blanc ! Mais pourtant, dès qu'il s'agit de manier des concepts aussi basiques que la vie et la mort (au sens où ils sont à la base de tout), il n'est absolument plus question de s'y prendre en tant que vie = bien et mort = mal.

Les apparences seraient alors trompeuses chez Bergman. Cette Mort est bien effrayante, pâle à l'extrême, avec son long manteau noir, et cette impersonnalité qui fait toute sa personne. On ne l'appelle d'ailleurs que la Mort, et dès que son nom est prononcé, un frémissement gagne la voix de ceux qui le prononcent. Bergman a pourtant, choisi, dans un contexte de peste noire en Suède médiévale, c'est à dire la plus horrible des morts, souffrances atroces comme en témoigne la scène où l'inconnu des bois se tort de douleur en mourant, de montrer une mort qui paraîtrait presque un recours. Aussi, les manières de montrer cela sont nombreuses.

La danse et le chant sont omniprésents dans Le Septième Sceau. Du peintre d'église qui peint la Danse de la Mort dans l'enceinte de la maison de Dieu, au motif que les gens n'ont pas toujours besoin d'être heureux, à la danse des troubadours qui précède la procession funèbre des repentants qui se lacèrent de coups de fouets afin d'implorer la pitié de Dieu, jusqu'à cette danse funèbre finale. Finalement, la danse est un motif d'amusement comme un autre, qui contraste avec le fait qu'elle convoque presque tout le temps la Mort, la souffrance. Les danses des troubadours ont rapport avec le Diable, ou avec la souffrance. Le plan magnifique de Jof dansant sur la table de l'auberge, suant et horrifié de savoir qu'il va peut-être mourir brûlé, est magnifique : il associe la gaieté de la danse au sursis de la mort qui attend.

Cette mort d'ailleurs n'attend pas de la plus macabre des façons qu'il soit : c'est un jeu d'échec continu qu'elle joue avec Antonius Block, ce chevalier croisé. Je ne sais pas si historiquement la Suède du haut Moyen-Âge connaissait le jeu d'échecs, mais c'est en tout cas une très intéressant, quoiqu'explicite, métaphore que nous propose Bergman, d'un jeu comme règlement d'une vie. Si Antonius gagne, il garde sa vie. S'il perd, il meurt. Ainsi, tout reposerait sur un jeu. La Mort n'aurait d'autres raisons de tuer qu'un simple jeu. C'est là toute l'ironie de la chose : faudrait-il de la chance pour ne pas mourir, comme c'était le cas lors de la peste noire, ou suffit-il d'être réfléchi dans ses actions, habile ? La vision que nous convoque Bergman est très intéressante.

Les passages d'ambiguïté entre une mort agréable et une vie de souffrances sont omniprésents : entre autres, j'ai noté ce chevalier qui se rectifie "par tous les diab... Saints !", ou bien le masque de la tête de mort qui suit les comédiens, ou encore le forgeron, qui, en tentant d'enlacer Jof, manque de lui faire mal. Ou finalement cette Mort que tout le monde accueille à la fin ! Bref, on se dit : tout ça pour accepter sa mort ? Oui. Peut-être que l'Apocalypse, ce n'est pas si mal, comparée à une vie de souffrances. Les frontières entre bien et mal ne sont pas si évidentes lorsqu'il s'agit de vie et de mort. Et la mort peut paraître sympathique à qui souffre de la vie.

Formidable réflexion que nous propose Bergman, à travers de très poétiques plans.
Alexandre G

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