S’il est une poignée de films qui devraient impérativement figurer dans une liste des classiques du cinéma du monde des années 50, Le Septième sceau (1957) serait assurément du nombre.


Sa Mort affrontant face à une mer houleuse un chevalier aux échecs compte parmi ces images iconiques qui, tel Marcello Mastroianni face à Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi ou Janet Leigh poignardée sous des accords stridents dans sa douche, ont tant et si bien pénétré l’imaginaire collectif que leur notoriété dépasse celle déjà grande pourtant des œuvres dont elles sont issues.


Bien peu de films ont été aussi abondamment commentés. Sa partie d’échecs compte au rang des scènes les plus parodiées de l’histoire du septième art. Cette scène s'est imposée dans l'imaginaire cinéphile comme un passage obligé sur le chemin d'une cinéphilie idéale.

Il ne faudrait pas, ceci exposé, trop vite céder aux sirènes du snobisme désirant dédaigner ce titre pour ce seul motif inavoué, ou l'on court le risque de dénigrer l'oeuvre d'Ingmar BERGMAN dans son entier ou de vouloir en extraire un demi cinéma prétentieux. Le fait est que Le Septième Sceau tant sur son fond que sur sa forme (il faut louer avant toutes choses un sens de la composition des cadres hors du commun) est une œuvre typiquement bergmanienne. Il n’en reste pas moins qu’elle doit plus de sa puissance à quelques visions inoubliables qu’à sa tenue d’ensemble. Le film se perd souvent en sous-intrigues et la qualité de sa reconstitution laisse parfois à désirer.


Tirant son titre de L’Apocalypse selon St-Jean (l’Agneau ouvrant les sept sceaux du Livre du Jugement Dernier), le film se déroule au retour d’une croisade meurtrière, alors que la peste noire bat son plein dans une Europe ravagée, en proie aux délires millénaristes. En esprit philosophe, un chevalier y dialogue avec la mort aux aguets, cherchant vainement à la tromper en gagnant du temps par un jeu. Chaque coup de leur partie est comme la manifestation d’une nouvelle attitude face au néant (la mauvaise conscience lors de la confession, un hédonisme renouvelé lors du pique-nique, la résignation fatiguée devant la fatalité lors du coup final). Autour des personnages se déroulent des scènes traduisant la dureté du siècle : une procession fanatique de repentance, l’immolation d’une "sorcière", l’agonie d’un pestiféré... Les films moyenâgeux de Bergman ont contribué à imposer au cinéma l’image d’une époque uniformément macabre. En dépit de sa brutalité, elle fut malgré tout aussi une période joyeuse - celle qui vit la naissance de l’esprit chevaleresque et de l’amour courtois. Bergman ménage toutefois aussi ici une place à cette fraîcheur de vivre, la saine insouciance d’une jeune famille qui seule survivra au fléau.


Si le cinéaste s’identifie au chevalier torturé, sans doute le rôle phare pour Max von SYDOW sa sympathie n’en va pas moins à Joseph et Mia, les deux comédiens ambulants, indifférents à sa quête mais soucieux d’offrir leur soutien à un semblable, prenant avec humour et émerveillement leur quotidien, désarmés devant la haine et la barbarie. Une épouse un pied dans la sensualité l’autre dans l’enfance, un mari fabulateur croyant lui-même à ses visions fantastiques, que la caméra fait sienne pour le spectateur, un nourrisson à tête blonde bouclée qui a la vie devant lui. C’est par eux que la pulsion de vie triomphe, là où le dur réalisme virant à l’amertume (mais non la sécheresse de cœur, comme en témoigne l’aide qu’il apporte au forgeron cocu) de l’écuyer et le désir de mort de la servante malmenée quand elle sourit à celle-ci dans un agenouillement dévoué, ne leur promet ni échappatoire ni traitement de faveur à l’instant fatal. A chacun son heure, comme le découvre ironiquement l’acteur feignant son propre poignardage pour éviter celui, bien réel lui, dont le forgeron le menaçait... Pour, quelques minutes à peine après avoir survécu, voir le tronc où il s’était caché se faire scier par la Faucheuse (dans une manière dérisoire annonçant le slasher burlesque de Scream (1996)). La partie est perdue d’avance. L’obsession de sa finitude n’a, ceci compris, aucun privilège rédempteur pour le Chevalier (il a la réaction la plus puérile au moment fatal), l’angoisse de sa propre mort se révélant essentiellement ici comme l’indice sûr d’une existence malheureuse. Le pitre Joseph voit la danse de mort des trépassés au loin, mais mène sa caravane vers d’autres visions. Le cinéma de Bergman a toujours été du côté des rêveurs.


Regarde-t-on jamais la Mort en face ? Les fantômes, les esprits frappeurs ou bienveillants, oui... Mais comment donner une présence à ce qui est l’absence même, qui activement ne se lit que dans des signes (dans cette histoire, essentiellement de la maladie) ? Tentative impossible, qui ne peut s’accomplir sans le risque de la solennité (attention, grand film) et d’une certaine fausseté de ton où le dialogue avec l’ennemie redoutée confine à une forme de verbiage. Dans les yeux de la sorcière au bûcher, le Chevalier ne trouve rien que la peur et le désarroi... parce qu’il n’y a rien d’autre à voir. Tout le reste n’est que littérature. Bergman ne s’y laissera plus prendre. Il ne projettera plus auto-analyse, auto-apitoiement et réflexivité sur un épouvantail qui laisse causer en attendant son tour, mais les placera dans la bouche d’alter-ego en proie aux mêmes craintes, frustrations et questionnements que lui. Ce sera le geste le plus juste et pur (même dans le courage de l’impureté) de la modernité cinématographique. Mortel, tout simplement.

Spectateur-Lambda
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le 2 août 2022

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