Det Sjunde Inseglet / Le Septième Sceau (Ingmar Bergman, Suède, 1957, 1h37)


‘’Quand l'Agneau ouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d'environ une demi-heure. Puis je vis les sept anges qui se tiennent devant Dieu ; sept trompettes leur furent données. Un autre ange vint. Il se plaça vers l'autel, tenant un encensoir d'or. On lui donna beaucoup de parfums afin qu'il les offre, avec les prières de tous les saints, sur l'autel d'or qui est devant le trône. La fumée des parfums monta de la main de l'ange devant Dieu avec les prières des saints. L'ange prit l'encensoir, le remplit du feu de l'autel et le jeta sur la terre. Il y eut alors des coups de tonnerre, des voix, des éclairs et un tremblement de terre.’’ - Apocalypse 8. 1-5 -



Il est toujours difficile d’aborder une œuvre aussi célébrée, aussi réputée, et aussi complexe que ‘’ ‘’Det Sjunde Inseglet’’, qui plus de soixante ans après sa sortie demeure d’une profondeur métaphysique incroyable. Avec ce véritable pamphlet théologique, Ingmar Bergman offrait au monde une majestueuse réflexion sur la mort, d’une beauté picturale époustouflante.


Dans une Europe médiévale livrée à la Peste Noir, le chevalier Antonius Block et son palefrenier Jöns, de retour des croisades, traversent des paysages lunaires, désertés par une humanité à l’aube de son crépuscule. C’est là, sur une plage, que le chevalier croise sur sa route la Mort en personne, venue clamer sa vie. Refusant de passer aussi facilement à trépas, Block propose à la grande Faucheuse une partie d’échec afin de faire reculer l’échéance. Elle accepte, et débute ainsi un chassé-croisé entre l’homme et son destin.


Cet axe principal, qu’est le duel entre les deux joueurs, se décline en plusieurs étapes. Alors que le chevalier essaye de regagner son château, il croise sur son chemin une galerie de personnages, représentants de l’époque. Une troupe d’acteur, illustration de la triste comédie humaine qui se joue. Des ouvriers, livrés à eux-mêmes dans un monde en déclin. Et un clergé complètement taré, présenté avec une agressive corrosivité.


Tout cela sert habilement de prétexte à Ingmar Bergman pour mettre en scène l’un des plus grands maux des sociétés humaines : l’obscurantisme. Traduit à l’écran avec une effroyable violence, il pointe du doigt les responsables d’une situation désespérée : l’Institution religieuse. Tout d’abord avec ce prêtre, ayant convaincu Antonius Block de partir en Terre Sainte pour défendre la chrétienté au nom d’un Dieu dont il doute désormais de l’existence. Conscient que la Croisade n’est autre qu’une question d’influence territoriale d’un Empire Chrétien gourmand. Trompé par le prêtre, Block n’en tient pas vraiment compte contrairement à son écuyer.


Jöns nourrit en effet une profonde colère pour l’ecclésiaste couard, moqueur, manipulateur et violeur. Une image dégueulasse du personnage, traduisant un profond dégoût de Bergman pour l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques, bafouant de la sorte les préceptes mêmes de son fondement théologique.


L’obscurantisme, thématique centrale de l’œuvre, est également déclinée par le biais des Flagellants, des moines fanatiques formant un organe ambulant du Christianisme dont l’apogée correspond au XIIIème et XIXème siècles. Séidistes illuminés, ils sont persuadés que de la flagellation vient l’expiation des péchés. Mouvement itinérant, ils arrivaient dans les villes, puis défilaient à genoux en se fouettaient en public, avec la conviction que c’était là le meilleur moyen d’être accepté auprès du Christ au Royaume des Cieux. Lorsque l’Apocalypse frappera.


Ils sont l’expression eschatologique d’un fanatisme hors de contrôle montée en véritable doctrine. Leur présence dans le métrage d’Ingmar Bergman semble venir appuyer l’idée imminente de la fin du monde. Alors que les rumeurs d’une maladie s’immiscent dans la population. Un mal, dit-on, qui tue quiconque l’attrape, provoquant des douleurs abominables, poussant même certains à la mutilation.


‘‘’Det Sjunde Inseglet’’’’ aborde également le fléau de l’Inquisition, apparût au XIIIème siècle pour combattre l’hérésie dans les royaumes Catholiques. La Peste Noire étant une pandémie alors incomprise, puisque la médecine c’était pas vraiment ça, sa prolifération est naturellement associée à un geste divin, assimilé au Jugement Dernier. Précipité par l’errance de croyants détournés de la Sainte Trinité, pour vouer un culte au Diable.


Les premières victimes de cette culmination de l’obscurantisme religieux au Moyen-Âge, dont l’appellation anglaise de ‘’Dark Age’’ est bien plus évocatrice, sont bien entendu les Femmes. Considérées comme des sorcières s’adonnant à mille péchés au nom de Satan, elles sont passées par le feu pour être purifiées.


Ce drame permet la présence, au cœur du métrage, d’une séquence particulièrement intense, alors qu’Antonius Block est livré au doute de la réalité d’une vie après la mort. Remettant par-là l’existence même d’un Royaume Céleste accueillant toutes les âmes pures, il prend en pitié une jeune femme sur le point d’être brûlée vive.


Face à sa fin imminente dans d’atroces souffrances, il lui offre à boire, il lui donne du réconfort, puis il reste l’observer, dans l’espoir de déceler dans son regard un signe lors de son trépas. Il veut voir de ses yeux la preuve d’une expression divine, au moment où elle rendra son dernier souffle. Pour venir le conforter de la réalité d’un au-delà tangible, lui qui est terrifié par le Néant.


Chef-d’œuvre nihiliste incontestable, ‘’Det Sjunde Inseglet’’ nous offre une réflexion grandiose, d’envergure toute magistrale, sur l’inéluctabilité de notre propre trépas, et cette peur inhérente à chacun d’un mystère de l’après. Par sa démarche hautement métaphorique, Bergman se sert du prétexte d’une société obscurantiste sur le déclin, sans la prétention de proposer une œuvre historique. Au contraire même, puisqu’il convoque par une catachrèse pertinente, toute l’idée d’une époque, servant un à-propos indispensable au développement de sa réflexion.


Si le récit est d’une noirceur insondable, que vient appuyer une photographie magnifique, dont certains plans frisent l’expressionnisme, le métrage n’en est pas pour autant dénué d’humour. Par la présence d’un absurde évocateur de la vacuité existentielle, il s’en dégage une certaine espièglerie, permettant un optimisme, par le biais d’une troupe de comédiens.


Évoluant dans un arc narratif parallèle à l’aventure de Block et Jöns, bien qu’ils se rencontrent, leur simplicité et leur amour certain pour la vie leur permet de se jouer de la Mort. Leur insouciance et leur légèreté les protège d’interrogations existentielles trop présentes chez les autres personnages. En particulier chez Antonius, qui ne croit plus en rien, qui ne s’émerveille plus de rien, et pour qui la vie ne représente plus rien. Son esprit et son corps sont usés.


Le couple de comédiens, et leur nourrisson, ne se soucie que de vivre leurs vies, en s’amusant et en profitant des choses simples. Leur occupation est de divertir la populace d’une réalité de plus en plus sombre, en partageant une petite part de leur bonheur. Quand Block est lui l’incarnation du désespoir et de la désillusion. Ayant pris conscience que le monde pour lequel il s’est battu en terre Sainte n’est en réalité basé que sur du vent. Il a donné 10 ans de sa vie pour défendre les intérêts du catholicisme, tout ça pour être témoin à son retour de la déliquescence d’une société qui se referme sur elle, confrontée de plus aux ravages de la Peste Noire.


Ses interrogations, sa partie d’échec contre la Mort, sa rencontre avec le couple de comédiens, puis avec la jeune martyre, et enfin son retour auprès de sa femme, construisent le parcours initiatique d’un type endoctriné, réalisant progressivement que le monde qui l’entoure est bâti sur le mensonge. Il croyait en un idéal qui n’est au final remplit que d’une vacuité absolue.


En arrière-plan, l’omniprésence de l’épidémie de Peste Noire, décime littéralement l’Europe, En l’espace de 5 ans elle tua près de la moitié de sa population (les chiffres avancés oscillent entre 30 et 50 % de la population). Face à la pandémie, comme bien souvent, les institutions s’effondrent, faisant exploser toute une civilisation en mille éclat.


Il ne reste plus rien en quoi croire, il n’est plus rien sur quoi se reposer. Tout le système, et le modèle sociétal sont dès lors remis en question. C’est en général à ce moment précis où débarquent les fanatiques, pseudo-garants d’un ordre socio-moral, qui refusent de voir les réalités en faces. Les dangereux qui cherchent à maintenir coûte que coûte ce qui n’est déjà plus. Par une expression virulente, meurtrière et criminelle, ils veulent des coupables, sans réaliser que ce sont bien souvent eux les responsables.


Avec ses plans semblables à des tableaux de maître, dont l’expressionnisme appuie un illustre sens du phrasé et une profonde grandeur d’âme, Ingmar Bergman signe une œuvre magistrale sur la mort, en en faisant une ode à la Vie et à la Liberté. De son nihilisme ambiant il ne subsiste qu’une seule idée, comprise bien trop tard par Block, contrairement au couple de comédiens et leur enfant : l’important est de profiter de tout. Profiter de chaque instant. Profiter de chaque repas. Profiter de ceux qu’on aime. Profiter des expériences que nous offre la vie. Profiter de ses souvenirs et les chérir tout au long de son existence.


Il ne sert à rien de se concentrer sur l’après, il ne sert à rien de repousser la mort, en essayant de se jouer d’elle. Il est au contraire nécessaire de l’accepter comme ce qu’elle est, une partie inhérente de l’existence. Son éventualité ne signifie pas nécessairement la fin, puisqu’un héritage est possible.


Transmettre aux générations futurs, c’est leur permettre d’apprendre des erreurs de leurs prédécesseurs. C’est ainsi tout un esprit vivace qui demeure au-delà même du trépas. Et ce n’est pas l’instrumentalisation terrifiante d’une expérience à laquelle nous sommes tous confronté, par les multiples religions et leurs dogmes avilissant, qui doit dicter ce que chaque être est capable de réaliser de son temps imparti sur cette Terre. Par un libre arbitre inaliénable et inaltérable.


Oui, ‘’Det Sjunde Inseglet’’ est un chef-d’œuvre incontestable. Magnifique et bouleversant, d’une auguste intelligence et d’une ouverture d’esprit inouïe, questionnant plus que rudoyant l’institutionnalisation de tout. Comme la croyance en des modèles préétablis, ici la religion chrétienne, mais qui peut se décliner à n’importe quel autre dogme.


À l’heure actuelle il serait plutôt question du dogme capitaliste, dont l’obscurantisme montre aujourd’hui ses limites, alors que la population mondiale est livrée à elle-même face à un virus qui décime la population. Vivant les derniers instants de son hégémonie, le Capitalisme se raidi, livrant ses dernières forces par une radicalisation, symptôme d’une chute prochaine. Comme il y a tant d’exemples à travers notre Histoire.


Tels que ces représentants incompétents d’un système mondialisé, qui est à l’image de ces Flagellants, ou ces moines qui brûlent sans aucunes justifications ni légitimités une pauvre jeune fille, dont le seul crime était de désirer jouir d’un petit bout de liberté, dans un monde devenu complètement fou.


Le Catholicisme face à la Peste Noire. Le Capitalisme face au Covid-19. Il serait possible de dresser cyniquement des liens équivoques entre les deux situations. Libre à chacun d’oser s’y pencher. C’est là l’une des nombreuses preuves qui confirme la dimension intemporelle d’une œuvre visionnaire comme ‘’Det Sjunde Inseglet’’. Capable par l’évocation d’un XIIIème siècle fantasmé, d’illustrer les années 1950, dont on peut trouver une résonnance toute particulière avec 2020. C’est là l’apanage de ce qu’on appelle un chef-d’œuvre. Et on ne le répétera sans doute jamais assez.



'Je me souviendrai de ce moment : le silence, le crépuscule, le bol de fraises, le bol de lait. Vos visages dans la lumière du soir. Mikael endormi, Jof avec sa lyre. Je dois essayer de me souvenir de notre conversation. Je dois porter soigneusement ce souvenir à même mes mains, comme s'il s'agissait d'un bol remplit de lait frais. Ce sera pour moi un signe de grand réconfort.’’ - Antonius Block -



-Stork._

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le 31 mars 2020

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