Si vous demandez aujourd'hui à n'importe qui dans la rue, tout le monde vous dira qu'il connait la trilogie du Seigneur des Anneaux. Mieux encore, la plupart de ces personnes vous vanteront très certainement la qualité de ces films, et la place qu'ils peuvent avoir dans l'histoire du cinéma. Et force est de constater que cette grande majorité est loin d'avoir tord. On pourrait même affirmer que cette majorité est dans le vrai. La question qui pourrait se poser alors serait : pourquoi, à une époque où le genre de l'heroic fantasy est au plus bas (le plus gros succès était Willow, 10 ans plus tôt (je crois, ça demande confirmation)) l'adaptation cinématographique, jugée inadaptable depuis toujours, du Seigneur des Anneaux, a aussi bien fonctionné ?


La réponse est simple et tient en deux mots. Deux mots qui semblent bien illusoires aujourd'hui, alors que la trilogie du Hobbit s'est royalement planté, les dents encastrées dans un mur en béton armé. Ces deux mots sont "Peter" et "Jackson" (faut mettre dans le bon ordre pour comprendre).
Parce qu'avant de nous pondre le brouillon interminable sur ce cher Bilbo, il faut tout de même se rappeler que le bonhomme a réussi l'impossible, à savoir porter à l'écran un univers si dense et si complexe qu'il est encore aujourd'hui l'une des plus grandes sources d'inspirations de l'heroic fantasy. Ce qui, pour un réalisateur qui vient du genre horrifique, est remarquable.



"Even the smallest person can change the course of the future"



Essayer d'expliquer pourquoi l'oeuvre de Tolkien était inadaptable est extrêmement simple et l'Histoire l'a bien prouvé avec les multiples tentatives d'adaptation qui ont gravité autour sans pour autant donner suite. La complexité narrative et la multiplication des personnages et des lieux en font une histoire tellement dense que le simple fait de traduire les livres en langage cinématographique représente un travail titanesque. Sans compter la quantité de détails qui fourmillent au gré des pages, faisant de cet univers l'un des plus vivant et entier qui soit. Donc l'adaptation était le premier réel défi de Jackson, à savoir déterminer les enjeux du récit et les mettre en place pour créer un ensemble cohérent et retranscrire l'esprit des livres (toujours en ayant en tête qu'une bande de fans acharnée se tiendrait prête à lui sauter à la gorge au moindre faux pas). Il choisit donc de faire de ses personnages le réel moteur de ses films afin de ne pas se limiter au seul "Sauron-est-méchant-et-veut-détruire-le-monde-il-faut-l'arrêter".
Ce qui transforme donc sa trilogie en énorme film choral, tous les personnages jouant plus ou moins sur le même pied d'égalité quant à leurs importance au sein de l'histoire (même si certains sont plus importants que d'autre je le conçois). Ce qui va lui permettre de parcourir plusieurs thèmes forts comme le passage à l'âge adulte pour les Hobbits par exemple ou de se questionner sur la notion de pouvoir et les choix moraux qui en découlent, qui est vraiment le centre d'intérêt du récit. Que ce soit Frodon, Gandalf, Aragorn, Sam, Merry, Pippin ou même ceux ne faisant pas parti de la communauté, tous ont un rôle prépondérant dans le développement de l'intrigue, sans qu'aucune de ces présences ne soit superflues.


Et parmi eux le maître de l'échiquier, à travers lequel tous les enjeux se centralisent, j'ai nommé Gandalf. C'est par lui qu'arrive le bouleversement, le réveil de l'Anneau, qui provoquera le thème du passage à l'âge adulte pour les Hobbits, c'est en suivant son parcours que tous les maux politiques seront évoqués, de la collaboration à la surpuissance maléfique pour Saroumane, à la problématique d'engager son peuple dans un conflit pour Theoden et les Elfes, sans oublier le dilemme du monde des Hommes, personnifié à travers Denethor qui ne veut pas entendre parler d'un digne héritier du trône qu'il ne peut posséder. Ce sont ces jeux de pouvoir (dans ce qui est pourtant le camp de la Lumière) qui rythment les trois films et qui maintiennent le suspense quant à l'issue finale du combat contre les Ténèbres de Sauron.


Mais je pense que le plus bel exemple de la démarche de Jackson sur ses personnages reste le traitement réservé à Sam. Les Hobbits sont le véritable coeur de sa trilogie et Sam est le personnage que tout le monde souhaiterait être. Lieutenant fidèle, Hobbit au coeur grand comme le monde, d'un soutien indéfectible envers Frodon, il est, je pense, le véritable héros de l'histoire. De jeune et timide adolescent amoureux à guerrier courageux et violent, jusqu'à devenir père de famille épanoui, la confrontation qu'il fait du monde qu'il n'a jamais connu est une véritable épreuve de passage vers l'âge adulte, et le chef de file d'un casting impeccable.
Car pour donner vie à ses personnages, Jackson fait le choix de se passer de grandes stars bankable (fait rare pour une production de ce genre). Résultat, chacun des acteurs est habité par son rôle (oui oui même Orlando Bloom) et apportent cette touche de sympathie qui permet l'attachement aux personnages.



One man to rule them all



Si l’on savait déjà que Jackson était loin d’être un manchot, de part sa courte mais inventive filmographie, le travail qu’il réalise sur le tournage des 3 films (puisqu’ils ont été filmés comme une trilogie et non 3 films à part) est titanesque. Jouissant de la liberté créative qu’on lui a accordé (ainsi que du budget colossal qui va avec), il s’épanouit totalement à travers une histoire qu’il aime et qu’il maîtrise. Ainsi, il jongle entre action et contemplation avec une facilité et une fluidité remarquable.


L’action déjà.
La plupart des séquences de bataille portent la marque des choix narratifs de son réalisateur. Quand la Communauté est prise au piège au fin fond d’une mine sombre, la longue focale domine la majorité des plans pour, d’une part capter l’inquiétude sur les visages, et d’autre part écraser la profondeur et provoquer ainsi une perte de repère du spectateur. Quand la guerre fait rage sur les Champs du Pelennor, c’est la focale courte qui prédomine, cernant ainsi la grandeur de la bataille et valorisant les chorégraphies.
Ces deux exemples diamétralement opposés n’empêchent pas non plus Jackson de faire entorse à ses choix. Si on reprend la séquence des Mines de la Moria, pour souligner l’immensité du lieu et l’épreuve que doivent affronter les personnages (personnifiée à travers le Balrog), il a recourt à la focale courte. Mais cela ne le détourne pas de son intention, à savoir l’oppression du lieu, puisque l’obscurité ambiante fait office de rôle pivot dans cette optique. De même, dans la bataille pour Minas Tirith, il souligne la dramaturgie de ses scènes d’actions grâce à des inserts sur les visages de différents personnages (Théoden notamment) grâce à une longue focale impliquant une faible profondeur de champ.


Si la trilogie du Seigneur des Anneaux est une œuvre extrêmement bruyante, elle tire sa force de la justesse avec laquelle Jackson place ses silences, et à contrario la musique, et la façon dont il travaille le montage de ses films. Tout au long de la trilogie le montage est basé soit sur la musique, soit sur les silences. Ce n'est pas la musique qui suit le découpage. Ainsi, la dramaturgie et la performance des scènes d'actions sont amplifiées, et additionnées à la force de la musique le film se retrouve parsemés de moments de grâce intenses, transformant même l'action en un lyrisme démesuré (les exemples sont nombreux, voir très nombreux). La scène du sacrifice de Faramir est un bijou en terme de découpage, de montage et de gestion du silence. On a tout d'abord la montée en tension avec la musique et le début de la charge sur la plaine de Minas Tirith où le silence de mort est d'or. Puis vient l'intermède avec la confrontation Pippin/Denethor, où s'oppose deux styles de pensées, l'un envoyant son propre fils à la mort en bouffant un poulet et l'autre circonspect devant tant de cruauté, et enfin, le climax avec la chanson « The Steward of Gondor », montée en alternance avec la charge. Tout est parfait jusqu'à la cerise sur le Gâteau et et l'utilisation de l'effet Koulechov avec le cut sur la bouche de Denethor dont le sang s'écoule lentement. Tout est réalisé à merveille pour créer une séquence remplie d'une forte émotion, le tout en utilisant simplement que les outils basiques du montage. Grandiose.



Here at the ends of all things



Il y a un domaine sur lequel Peter Jackson allait être jugé avant tout le reste. Où situer l'action ? Ou pour le poser différemment : où et comment recréer la Terre du Milieu. Le monde de Tolkien est probablement l'un des univers les plus fascinants et les plus complets pour tout amateur d'heroic fantasy. Et l'idée même de porter cet univers à l'écran est une épreuve colossale.
En bon amoureux de son pays d'origine, Jackson choisit la Nouvelle-Zélande pour peindre la Terre du Milieu, et en particulier de privilégier le décor naturel aux effets visuels. La beauté naturelle des paysage néo-zélandais que l'on parcourt à travers de longs plans aériens contemplatifs suffirait presque à créer la magie. Quand on regarde la trilogie, on y est. On respire l'air frais et jovial de la Comté, on sent le crottin de Cheval d'Edoras et on suffoque dans les plaines arides du Mordor. A ce titre, la direction artistique, ainsi que la photographie sont absolument sublimes et apportent cette touche de magie qui permet de faire basculer le film dans une autre dimension.
Pour retranscrire l'architecture, les costumes et les accessoires de ce monde, Peter Jackson s'entoure de deux références parmi les illustrateurs de Tolkien, à savoir John Howe et Alan Lee. En tant que fournisseurs principaux de visuels sur la Terre du Milieu, il sont la pierre fondatrice de la reconstitution de l'univers, de Minas Tirith, aussi imposante que fragile à Isengard, la Comté, Edoras ou le Gouffre de Helm. Sans oublier évidemment Gollum qui fut une révolution technologique pour l'époque, et qui changea énormément de choses pour le cinéma (et a fait d'Andy Serkis un acteur unique en son genre).
Enfin, j'en ai déjà un peu parlé, mais la musique est le complément parfait au travail graphique effectué par les équipes techniques des films. Howard Shore a réalisé un score absolument parfait. Des thèmes identifiables dans tous les sens, de la Comté à la Montagne du Destin, la BO à elle seule suffit pour parcourir la Terre du Milieu, et associée aux images, elle magnifie une dernière fois une oeuvre majeure du 7e art.


Le Seigneur des Anneaux est une oeuvre qui a marqué et qui marquera encore de nombreuses générations, faisant fantasmer les jeunes et les moins jeunes pour son univers si dense et majestueux et sa galerie de personnages et de lieux, tous plus fantastiques les uns que les autres. Ce que Peter Jackson a réussi en trois films est monumental. On peut lui faire tous les reproches que l'on voudra, il n'empêche que ses films transpirent d'une marque d'amour pour le cinéma d'une part et pour l'oeuvre de Tolkien ensuite. Cette trilogie de film restera à jamais une des plus grandes réussites du genre et continuera à façonner l'imaginaire commun, tel le formidable témoignage de l'esprit de son auteur qu'elle est.

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le 10 févr. 2017

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