Revoir Le Seigneur des Anneaux fait émerger une question essentielle : qu’est-ce qui fait de la trilogie de Jackson un classique ? Comment expliquer que, plus d’une décennie après et en dépit des fulgurants progrès en matière d’effets spéciaux, des nombreuses tentatives de renouer avec un tel succès, cette saga s’impose et bénéficie d’un souffle unique ?


La première explication est à chercher dans le savoir-faire du cinéaste. La communauté de l’anneau se doit d’exposer un monde complexe et profus, et Jackson parvient à équilibrer savamment l’aspect documentaire et la narration. Le sens du détail impressionne avant tout : costumes, accessoires, interaction avec les différentes ethnies, chaque nouveau décor est un tableau soigné à la perfection, au service d’une illusion immersive qui fonctionne comme jamais. En écho à ces plans moyens (La Comté, l’auberge, la forêt des elfes…), le cinéaste prend aussi soin de dessiner la cartographie générale des Terres du Milieu, fidèle à cette unique image qu’avaient les lecteurs de Tolkien en deuxième de couverture. Entre les deux pôles du Mordor et de l’Isengard, le surplomb visuel est d’une maîtrise totale : des montagnes aux rivières, des plaines aux forêts, la caméra balaie un territoire si vaste par ces prises de vues sur la Nouvelle-Zélande qu’elle donne avec grandeur le souffle épique de la saga naissante.


Le recours à l’image numérique est certes présent, mais convainc par une intégration harmonieuse, qui fait de la nature et d’une dimension folklorique une véritable priorité. Dès lors, on savourera d’autant plus la forêt laiteuse colonisée par les elfes ou la noirceur minérale des mines de la Moria.

La seconde raison tient bien entendu dans la qualité initiale du livre adapté. De ce point de vue, Jackson préserve avec le plus grand soin les problématiques du roman. La version longue, pourtant redoutable dans une introduction, fonctionne bien en réalité. Le premier volet de la trilogie introduit avec intelligence les grandes lignes à venir : plutôt que de s’épuiser à embrasser la totalité de l’univers à découvrir, l’auteur choisit un représentant de chaque peuple pour figurer dans la fameuse communauté. Cette modestie initiale est particulièrement efficace : les grandes questions sont abordées, tout comme l’est la symbolique de l’anneau et de la convoitise qu’il suscite. Le fait de faire de Frodon le personnage principal souligne cette volonté : dépassé, mutique, il se distingue par une qualité unique, sa bonté et sa résistance à l’attraction maléfique. Autour de lui, les passions se déchaînent, les tractations politiques et les mensonges se déploient, tandis qu’il s’attèle à une unique trajectoire, quitte à se délester du groupe.


L’épique est un prélude dans La Communauté de l’anneau : de grande bataille, il n’est point encore question. Tout se prépare, tout s’annonce. Et pourtant, le souffle est bien là : le frisson de voir la terre d’Isengard s’ouvrir pour y préparer la noire conquête, celle de la Moria dévoiler son armée grouillante et obscure, et la beauté lugubre des Nazgûls arpenter les mêmes chemins que notre frêle héros.


Et le spectateur de se réjouir à l’idée de poursuivre le voyage.

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le 13 nov. 2015

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Sergent_Pepper

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