L'Équilibre dans la Force, tu rétabliras

EPISODE VI
LE RETOUR DU JEDI


Luke Skywalker est retourné
parmi les siens sur la planète
Tatooine pour tenter d'arracher
son ami Han Solo aux griffes
de l'ignoble bandit Jabba the Hutt.


Luke ne peut pas savoir que
L'EMPIRE GALACTIQUE a
commencé à construire en secret
une nouvelle station spatiale
blindée bien plus puissante
que la première et terrifiante
ETOILE DE LA MORT.


Quand cette arme absolue
sera achevée, ce sera la fin
du petit groupe de résistance
qui luttent pour ramener
la liberté dans la galaxie...


Le Retour du Jedi, ultime épisode de la saga de George Lucas avait la lourde tâche de reprendre tous les thèmes abordés jusque-ici et de les amener, au terme d'une longue marche, à leur degré d'accomplissement maximal. De ce point de vue là, le film est une telle réussite qu'il pourrait bien être lui aussi l’étendard de sa glorieuse fratrie. On était entré angoissé dans le mausolée de la Force, la grande pyramide funéraire de l’Élu, et on l'y quitte désormais avec la nostalgie, l'émerveillement et la déférence dus aux Grands Mythes de ce monde. Un petit garçon blondinet de neuf ans nous avait alors pris par la main, et c'est aujourd’hui un maître Jedi libéré qui vient de nous la lâcher alors qu'il montait sur le bûcher dressé par son fils et dans l'éternité où tous ceux qu'il avait aimé l'attendaient. En l'espace de six films, George Lucas venait d'offrir au septième art, l'un des plus cadeaux de son histoire. Un trésor fabuleux truffés de planètes imaginaires, de créatures extra-ordinaires et de références universelles. Il lui avait laissé un univers légendaire et autarcique d'une richesse infinie dans lequel les générations se succèderaient mais trouveraient toujours matière s’émerveiller, à s’émouvoir, à réfléchir, à rire et à pleurer. Un monde fantastique où le spectateur s'abandonnerait corps et âme et oublierait les notions de physiques et d'éthiques les plus élémentaires : l'espace n'en finirait plus de résonner du cri strident des géométriquement paradoxaux mais parfaits Tie-Fighters (deux prismes hexagonaux séparés par une sphère), du grondement sourd des croiseurs interstellaires ou du bruit sec du Faucon Millénium passant dans l’hyperespace. De plus, là où Heidegger et Kubrick voyaient dans l'intelligence artificielle une aliénation de l'Homme à la machine et craignait ainsi la dépossession de sa domination sur la nature, Lucas faisait de sa droïde engeance des entités non plus mécaniques, infaillibles et logiques mais des technologies conscientes, défectueuses et imprévisibles en leur conférant l'âme que l'éthique leur refusait jusqu'alors : c'est ainsi que les droïdes de combat de la Fédération du Commerce seront aussi lâches, stupides, et grand-guignolesques que leur créateurs, que le droïde de protocole «maîtrisant plus de six millions de formes de communication» C3PO sera loquace, existentialiste et peureux et qu'enfin l'inénarrable R2-D2 sera... R2-D2, soit la boîte de conserve la plus expressive, coquine, bruillante et caractérielle de toute la Galaxie. Une éthique humaine également largement bafouée sur le terrain de l'embryologie dans L'Attaque des Clones, qui voyait le peuple de Kamino s'adonnait avec grande réussite au clonage de masse d'êtres humains.


Faut-il voir dans le Jedi, et en particulier dans Anakin Skywalker, l'ultime représentation du Surhomme de Nietzsche, c'est à dire, non pas de l'Homme supérieur au sens hiérarchique du terme, mais de l'Homme qui se transcende lui-même? Après tout n'est-il pas «le sens de la terre», donc d'après la cosmologie de Star Wars, la Force? Et quoi de plus proche de la Force dans l'univers que le Jedi? Ce dernier suivant en outre un enseignement très proche de celui de l'école du Portique (suppression des passions, équilibre des propensions et des répulsions dans la question du devoir et discipline de l’assentiment) qu'admirait énormément le natif de Röcken, et se positionnant comme le grand affirmateur de tout ce qui est et l'incarnation des valeurs dionysiaques et de l'Amor fati (amour du destin), on ne saurait donc se tromper en l'assimilant dans un premier temps au Surhomme. Quid dans ce cas là du Sith? N’entretient-il pas lui aussi une relation privilégiée avec la Force? N'est-il donc pas lui aussi «le sens de la terre»? Si la première affirmation est bien correcte, la seconde relève en revanche de la plus totale ineptie, puisqu'en étant le sens de la terre et donc la transfiguration de l'existence, le surhomme ne pourrait être également son gouverneur. Précisément ce à quoi s'attache le Sith. Enfin, en reniant jusqu'aux moindres des préceptes stoïciens, notamment la suppression des passions, et en allant même jusqu'à prôner l'abandon à cette colère dont Zarathoustra en personne, comme Sénèque, appelait à se délivrer, le Sith figure comme personne avant lui celui que Deleuze décrivait comme l'homme du ressentiment dont «le plus frappant n'est pas la méchanceté, mais la dégoutante malveillance et la capacité dépréciative irrésistible» : le Dernier Homme. Si le Sith est donc la parfaite incarnation du Dernier Homme, le Jedi n'est toutefois pas encore le Surhomme. Il lui manque en effet une qualité que Zarathoustra évoque ainsi : «le mal est, en effet, pour l'homme la meilleure de ses forces. L'homme ne peut que devenir meilleur et plus méchant, voilà ce que j'enseigne, moi. Au plus grand bien du Surhomme le plus grand mal est nécessaire». C'est donc dans l'absence de mal et la négation millénaire de ses instincts de conquête que le Jedi ne se voit pas accéder au statut de Surhomme. Une harmonie entre les deux pôles de l'univers que finalement un seul Jedi détient, Anakin Skywalker. Le Surhomme, libéré de toute forme de nihilisme et de haine pour la vie, le bien et le mal n'existant désormais plus pour lui, et ayant la Force en lui de désirer pleinement et pour toujours l'éternel retour de son existence, c'est lui.


«Il faut avoir du chaos dans l'âme pour donner naissance à une étoile dansant.»


Pour être pleinement parfait et entrer définitivement au patrimoine artistique de l'humanité, le mythe doit faire opérer à son sujet, qui peut être une personne physique comme un objet du quotidien, un Retour, ce dernier pouvant prendre l'aspect d'un retour aux origines, d'une rédemption ou encore d'un éternel recommencement. C'est ainsi qu'Ulysse, parti guerroyer à Troie, revient dans son Ithaque natal à la fin de l'Odyssée, que Perséphone, prisonnière de sa Beauté, regagne le monde des vivants tous les printemps et celui des morts tous les automnes, que l'Anneau Unique, forgé secrètement en Mordor, retrouve les flammes de la Montagne du Destin, que Prométhée, le fossoyeur de l'Olympe, se fait dévorer chaque matin le foie par l'Aigle du Caucase, que Sisyphe, tels la marée et l'astre du jour, monte et descend inlassablement son rocher dans l'antre du Tartare et qu'Anakin Skywalker, donc, nous revient du côté Obscur de la Force. Orchestré par le destin, ce retour du sujet, et donc du mythe, sur les traces de son passé consiste à replacer l'âme de ce dernier devant le miroir de son existence, dans l'envers duquel elle passa autrefois, et ainsi le spectacle de son propre échec, de sa propre désuétude et de sa propre mort. Épilogue du mythe, ce mode d'appréhension de la Fin, permet finalement à son sujet, sinon de se sauver, d'abjurer ses erreurs et donc de retrouver la paix. C'est dans cette logique expiatoire que s'inscrit très naturellement le Retour du Jedi, lorsqu'aux travers de deux scènes clés renvoyant à deux scènes quasiment identiques de La Revanche des Sith, preuve s'il en fallait encore de l'incroyable cohérence de la saga, il offre à son héros l'opportunité de rejouer avec son fils, dans des rôles évidemment inversés, les moment charnières de sa vie. La première de ces deux scènes, qui voit Luke refuser de tuer son père malgré les insistances de l'Empereur, renvoie à celle où Anakin, obéissant lui aux ordres de Palpatine, prenait la vie du Comte Dooku et par là même, la place à ses côtés. La seconde, peut-être la plus importante de la saga, qui voit Dark Vador précipiter l'Empereur dans les feu éternels de l'enfer et retrouver ainsi le côté Lumineux de la Force, renvoie à celle où Anakin, tranchant le bras de Mace Windu, sauvait la vie de celui qui n'était alors que Chancelier et croulait sous la puissance dévastatrice de ses propres éclairs, et basculait on pensait définitivement du côté Obscur.


Et c'est ainsi qu'en bravant la mort et en donnant la vie
Anakin accomplit son destin et restaura l’Équilibre
Dans la Force et la Galaxie dont il est devenu aujourd'hui
Le Jedi déchu, le Sith repentit, le jedi retrouvé.

blig
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le 16 déc. 2015

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blig

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