Une poésie de nature à l'écho prismé d'imperfections.

Je précise d'emblée : ma note est de 6, car j'hésite entre 4 et 8. Le Renard et l'Enfant me remplit de sentiments totalement contradictoires. Je précise également que les insensibles aux charmes de la nature devront passer leur chemin et ne pas voir ce long-métrage, sous peine de s'endormir rapidement ; et si le sommeil ne vient pas, l'ennui sera constant tout au long d'un film qu'ils trouveront interminable et dénué de tout intérêt. Ceci étant précisé, je peux commencer mon avis, lequel débutera par ce qui m'a vraiment plu, préférant le séparer de ce que je considère comme mauvais ou très mauvais, car il semble subsister un trop grand décalage qui rendrait futile toute comparaison.

Le titre à lui seul permet de déterminer les protagonistes de cette aventure, qui en sera une ou pas du tout selon le point de vue du spectateur : un renard, une petite fille, la faune, et la flore. La réalisation de Luc Jacquet me semble fort intéressante et d'autant plus appréciable car très éloignée des standards actuels. Il parvient ainsi à créer une musique naturelle tout en extirpant, parfois jusqu'à l'excès, l'essence même et l'ambiance que la nature pourrait proposer dans une réalité teintée d'une crédulité imaginaire, à la manière d'une bourrasque d'air frais vous griffant le visage tout en vous extirpant un sourire satisfait. Ainsi, au moyen de sonorités naturelles rappelant par certains côtés l'immense Kurosawa, Jacquet parvient à reproduire toutes sortes d'ambiances fascinantes, illustrant la découverte, la légèreté, la douceur, la peur, la terreur, la tension, l'inconnu, et... l'aventure.

Car le Renard et l'Enfant est, dans son ensemble, une véritable aventure au cœur de la Nature, et aurait d'ailleurs gagné à y demeurer totalement, plutôt que de déboucher sur une morale humaine qui m'a bien gonflé, mais j'y reviendrai plus tard. Bruissements d'arbres, craquements de branches, cris d'animaux, hurlements de loups, hululements, musiques du vent aux consonances mélodieuses et entrainantes, Jacquet a tout rassemblé ici pour bien nous faire comprendre qu'il veut montrer la nature, et rien d'autre. Même si, en fond, se dessine la société des hommes, incapables de comprendre cette nature, et qui, dramatiquement imbus de leur personne, ont décrété unilatéralement qu'elle devait se plier à leur volonté plutôt que l'inverse.

Ambiance fascinante donc, prises de vue assez extraordinaires dans des environnements naturels que l'on pourrait penser tirés d'un pays très lointain, aussi mystérieux qu'inconnu. Et pourtant, il s'agit de la France, qui possède une richesse et une diversité naturelle que l'on a tendance à rapidement oublier avec le malheureux mais incontournable développement urbain. Aujourd'hui, je ne l'apprends à personne, la société des hommes prend le pas sur tout et nous fait oublier pourquoi et comment nous sommes parvenu à survivre jusque là. Mais bon, je m'égare un peu... Jacquet a pris le pari de mettre de côté une certaine forme de réalisme au profit de la création d'une somptueuse poésie telle un métamorphe en perpétuelle assimilation physique et morale, si l'on peut dire, de la silhouette particulière et plutôt méconnue de la faune et la flore de notre pays. Une ode fabuleuse d'une nature à notre portée, et une manière de filmer qui parvient à nous dévoiler des images et des scènes dont on peine à imaginer la difficulté qu'elles ont dû poser à toute l'équipe de tournage, notamment avec le renard.

Vous l'avez compris, toute cette partie "Nature" m'a véritablement conquis, de par la manière dont elle est filmée et l'ambiance qu'elle procure grâce à une bande sonore incroyable bien que parfois un peu poussive. Je parlais de manque de réalisme, indissociable d'une poésie à la durée aussi courte, lorsque des dizaines d'animaux se retrouvent au même endroit, la petite fille rousse parvenant à tous les remarquer, ce qui évidemment est impossible dans la réalité.
D'ailleurs, parlons animaux. Le renard est magnifique, mais il n'est pas le seul mis en scène : bien d'autres animaux sont portés à notre regard qui vacille constamment entre la curiosité et la contemplation. On peut ainsi citer les superbes prises de vues sur des lynx, dont une scène de poursuite sensationnelle, des loups, hiboux (chouettes ? je confonds toujours ^^), ou encore rapaces... Ce film est une véritable poésie théâtrale au tempo orchestral, et ce meltin' pot floral et animalier concorde finalement avec le désir du réalisateur de nous dévoiler toute la richesse que recèle notre pays, de plus en plus gangrénée par les besoins de notre société de consommation et la volonté des grandes puissances économiques et financières. Pari réussi sur ce point.

Mais cette volonté poétique, retranscrite avec brio par l'ambiance "orchestrale" naturelle et combinée à des images stupéfiantes, contraste radicalement avec la "poésie" vocale qu'il a tenté de donner par la voix off de son actrice. Cette poésie-là, autant le dire de suite, je ne l'apprécie vraiment pas. Le pari était compliqué, forcément, puisque rien n'est plus dur que de créer des dialogues réalistes pour une petite fille, ses monologues tantôt rêveurs, curieux, joueurs ou coquins qu'elle chantonne au cours de ses ballades, toutes ces lubies enfantines emplies d'innocence qu'une gamine pourrait réaliser lorsqu'elle s'imagine seule. Mais ce script-là est souvent maladroit voire parfois franchement énervant, et l'avancée du film ne change rien à l'affaire, bien au contraire. Tout cela débouche sur une conclusion qui m'emmerde profondément. C'est bien beau de faire une morale, mais si on choisit d'en faire une, il faut l'exploiter correctement et en profondeur, sinon celle-ci n'aura pas plus de poids qu'une poignée de cacahouètes, rassies qui plus est.

Et là, face à une situation extrapolant parfaitement la connerie humaine sur la confusion trop fréquente faite par les Hommes entre amour et possession, il démontre que lorsque les humains aiment quelque chose, ils veulent trop souvent le posséder et peinent grandement à dissocier convenablement ces deux notions. Oui, sauf que là-dessus, Luc Jacquet n'a pas été bon. Il a échoué dans la dénonciation de la bêtise, atténuant de ce fait l'impact du souffle moralisateur dégagé par ses images et son ambiance. Je ne peux en dire plus pour éviter le spoil... En tout cas, Le Renard et l'Enfant est une superbe ode à la Nature, fortement entachée par une moralisation humaine ridicule et un script en décalage total avec la magie dégagée par les éléments naturels et la manière dont ils sont mis en scène. J'ai l'impression, et cela n'engage que moi, que Le Renard et l'Enfant aurait gagné à être un long-métrage muet pour devenir peut-être un film touchant, sensationnel pour les yeux et les oreilles. Bon, cela reste quand même un film touchant et beau, mais certaines imperfections sont bien trop prononcées et désagréables pour être ignorées.

Une superbe poésie de nature déformée par l'éclat parfois aveuglant d'un prisme d'imperfections.

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le 21 avr. 2012

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Taurusel

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