Le Ravi
Le Ravi

Film de Ettore Scola (1971)

Il ne faut surtout se laisser abuser par l'affiche qui laisse penser que ce film d'Ettore Scola est une comédie potache sur un italien en goguette à Chicago, un truc un peu facile comme Sordi en avait le secret dans les années 80. On y voit Mastroianni croquer à pleines dents dans un sandwich gigantesque et sous une nuée de drapeaux U.S.

Coincé dans sa filmographie entre Drame de la vie conjugale et La plus belle soirée de ma vie, c'est peu dire que Scola était dans une veine sombre. Et Le ravi ( titre original Permette ? Rocco Papaleo) est probablement le plus noir des trois. On a rarement vu une telle charge envers les U.S.A dans un film étranger. On est loin des coups de griffes minables de Godard sur l'impérialisme américain et le Vietnam à travers ses dialogues imbitables. Scola est allé sur place pour filmer sa détestation au plus près. Et encore... il n'aborde même pas les guerres abusives ou l’influence américaine sur l’avènement de dictatures en Amérique du sud. Mais venons-en à l'histoire.

Rocco Papaleo est un ancien boxeur italien qui travaille comme mineur dans un bled des Etats-Unis. Alors qu'il se rend à Chicago afin d'assister à un match de boxe, il se fait accidentellement renverser par une voiture. Jenny, la conductrice est une charmante jeune mannequin (Lauren Hutton), dont Rocco va s'amouracher.

Mais Rocco est un peu limité. On imagine que ce sont ses combats de boxe contre un polonais, qui lui ont "secoué la pulpe". Il en a des flashs parfois, à certains moments de sa vie sa vision épouse le style des ralentis T.V de match de boxe. Et ça ne donne des plans pas franchement réussis.

Rocco est donc un personnage naïf et sympathique qui se retrouve englué dans une ville négative et aliénante. Tous les personnages qu'il croise sont névrosés (Jenny), désespérés (Phil l'homosexuel disgracieux) ou monstrueux (Gengis Khan et surtout l'immonde prostituée). La pauvreté extrême de la ville est présentée sans ambages. Un gentil plouc plongé dans une ville froide et menaçante, ça rappelle forcément Macadam cowboy qui est sorti 3 ans plus tôt. A la différence de Jon Voight qui s'adapte pour survivre, Rocco reste le même optimiste durant une grande partie du film.

Quand il prend conscience que Jenny le méprise, et qu'elle ne vaut pas mieux que les autres, il craque. C'est alors qu'il décide de faire exploser la parade américaine qui célèbre une fierté incompréhensible et même obscène après tant d'injustices observées.

Quelques scènes amusantes et franchement cyniques dynamisent un film un peu trop mécanique. Je pense à celle avec le gros patron italien qui explique à Rocco qu'il n'engagera jamais un compatriote car ils sont voleurs et faignants. Les Américains sont loués, ils travaillent dur, comme les noirs, qu'il paye d'ailleurs deux fois moins. Et c'est l'une des puissantes charges du film : le traitement des noirs en sous citoyens. On pense à la scène la plus difficile, celle de "la fille" adoptive de la prostituée, sous produits qui danse les yeux fermés dans une chambre miteuse. On nous épargne la suite, mais ça reste un sommet de glauque de sa filmographie.

Le ravi rappelle un autre triomphe du ciné indépendant américain, Being there d'Hasby, avec Peter Sellers. Sauf que le simplet Rocco ne récolte qu'un mépris général. Mastroianni est excellent dans un rôle pas évident, et son regard constitue l'unique étincelle d'humanité d'un film particulièrement pesant. C'est certainement ce manichéisme qui empêche le ravi d'être une réussite. On dirait un peu un film de colère adolescente, et comme toute colère de ce genre, ça manque de recul et de mesure.

Peut-être a-t'il voulu réagir à la fascination qu'engendre ce pays, à une légende abondamment véhiculée par les films et la musique. Peut-être a-t'il voulu exhiber une intolérance répandue dans les grandes villes. Le snobisme et la vacuité y règne tant dans les hautes sphères culturelles - où l'on fait chanter l'italien à gorge déployée pour se foutre de lui - que dans les bars crasseux où les moqueries fusent à l'égard des putes.

Le cinéma italien a toujours eu le goût de l'autocritique, et un talent sans égal pour dénoncer les travers de ses compatriotes. Surtout quand ils sont expatriés (Il gaucho). Une faculté que le cinéma américain n'a jamais su maîtriser ou accepter. La faute à Capra et à La vie est belle qui veut que le bon ressorte toujours à la fin, et que les gens ne sont pas forcément mauvais, peut-être. Et même si Scola critique un peu maladroitement, avec excès, ça reste mieux que rien. Il fait son crachat punk comme Strummer avant lui.

Permette ? Rocco Papaleo est un film énervé, désespéré et d'une acidité folle qui n'avait manifestement pas pour but d'obtenir l'Oscar du meilleur étranger.

Negreanu
6
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le 7 avr. 2023

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5 j'aime

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