Joss Beaumont. Espionnage et châtaigne.



  • Instructeur Picard, c'est lui qui a formé Beaumont.

  • Le chiendent, voyez-vous monsieur le ministre, c'est que Beaumont connaît tous nos coups. Et pourquoi les connaît-il ? Parce que nous les lui avons appris. Coup par coup, la malice par la malice. Mon meilleur souvenir d'instructeur, monsieur le ministre. Si j'avais un fils, j'aimerais qu'il lui ressemble.

  • C'est très touchant. Mais cela n'arrange pas nos affaires. S'il est si doué que ça, il va pas être facile à arrêter.

  • Il va quand même être obligé de se déplacer !... De prendre des contacts.

  • Pas fatalement. Je lui ai appris à évoluer sans contact. À opérer en terre brûlée. Pour tout arranger, "il a les blancs".

  • Hein ?

  • C'est un terme d'échecs. Les blancs ont le bénéfice de l'offensive. Il aura toujours un coup d'avance ! Il va nous faire des trucs impossibles ! Il improvisera sans arrêt ! Il nous tournera autour ! Il va nous rendre fous !




Pierrot a rejoint Colombine. Arlequin disparaît sur la pointe des pieds.



Lorsqu'on pense au film "Le Professionel", de Georges Lautner, il résonne instantanément dans l'esprit une magnifique et profonde mélodie composée par le génial Ennio Morricone : « Chi Mai ». Une musique extraordinaire initialement créée pour Maddalena de Jerzy Kawalerowicz, qui trouvera une seconde vie à travers cette oeuvre qui fera son succès. Un thème pénétrant convoquant une élévation intérieure avec ses timbres instrumentaux remarquables. Un accord de violons appuyé par de longues tenues de cordes agrémentés par l'intervention d'un synthétiseur qui soutient la puissance sonore pour finalement laisser place à l'intervention paisible d'un clavecin doublé avec une flûte. Une composition musicale impériale qui rythme le périple tortueux et fataliste de Joss Beaumont, l'un des personnages les plus cultes du cinéma français, incarné par une autre légende, le grand Jean-Paul Belmondo.


Le Professionel est un thriller d'espionnage sous testostérone qui convoque le spectateur à un grand divertissement qui ne fait à aucun moment dans la dentelle. Un périple palpitant doté d'une consonance dramatique redoutable que l'on doit aux efforts conjugués de plusieurs fleurons du génie cinématographique français. En témoigne, le scénario mouvementé écrit par Georges Lautner qui adapte le roman "Mort d'une bête à la peau fragile", de Patrick Alexander, que les dialogues incisifs et percutants de Michel Audiard viennent appuyer. Une association à l'origine d'une histoire entraînante mettant en avant un agent des services secrets français envoyé en mission au Malagawi, un pays (fictif) d'Afrique, pour éliminer le dictateur N'Jala. Durant son infiltration vers son objectif, l'espion est dénoncé par les propres autorités de son pays, qui en cours de route ont finalement trouvé un intérêt financier à conservé le despote à sa place.
« - Je vous demande pourquoi vous n'avez pas rappelé Beaumont ?
- Eh bien... Parce qu'on a jugé opportun en haut lieu de signaler la présence de Beaumont au président N'Jala.
- Vous l'avez vendu.
- Non. Pas vendu, monsieur le ministre. Donné. Par raison d'État, c'est gratuit la raison d'État. Enfin, souvent. »

Envoyé en pénitencier pendant plus de deux ans dans des conditions d'incarcération inhumaines, il finit par s'évader pour revenir en France. Là-bas, il va régler ses comptes avec son propre gouvernement tout en essayant d'achever la mission qu'on lui avait initialement confiée, la mort de N'Jala.


Un récit amère et grave avec des nuances d'humour et d'érotisme soutenu par de nombreuses séquences d'actions passionnantes portées par des personnages idéalement ravagés. Un polar urbain qui d'une scène à l'autre est capable de vous faire passer du sourire aux larmes, ou encore de la jubilation à l'effroi. Dès la scène d'ouverture on est alpagué par le contraste rude et difficile de l'emprisonnement de Joss Beaumont, qui va se livrer à une évasion spectaculaire. Un moment explosif où l'homme se livre à une déflagration importante. S'ensuit un jeu du chat et de la souris haletant dans lequel Joss se moque et se joue d'abord de ses anciens collègues en manoeuvrant entre son ancienne habitation où il rallie sa femme, Jeanne, et celui de sa maîtresse, Alice Ancelin, membre des services secrets. À partir de là, on ne plaisante plus, Joss va se livrer à une véritable vendetta qu'il va mener d'une main de maître. Course-poursuite endiablée en voiture, tortures, infiltrations, règlement de comptes, tout y passe. Jusqu'au final qui prend à revers le spectateur en usant davantage d'intelligence que de gros bras. Une traque sous forme de représailles que personne ne semble pouvoir stopper, si ce n'est le commissaire Rosen, qui va se dresser comme une menace redoutable. Les deux hommes se livrent dans un premier temps un duel psychologique passionnant. Après les paroles, places aux actes ! Débouche un duel palpitant dans les rues de Paris par le biais d'une mouvance cinématographique faisant un clin d'oeil imprévu aux westerns. Un duel au pistolet déterminant à travers un jeu de regard, une atmosphère, une intention, savamment accompagné par la musique de Morricone. On se croirait dans un western, délectable à souhait !



Mais qu'est-ce qu'il vient me faire chier avec sa pute, celui-là !



Le Professionel nous régale avec une réalisation aux p'tits oignons pour Georges Lautner qui va user d'une filmographie de qualité. Une mise en images servie par la photographie d'Henri Decaë qui va savamment mettre à profit sa technicité à travers les costumes de Paulette Breil et les décors d'Éric Moulard. Un contraste satirique habile entre l'Affrique sauvage composé d'une population miséreuse tyrannisé par son président, et la France Parisienne offrant une image bourgeoise avec sa jungle de pavés que des sans abris jonchent en quantité. Le château de Maintenon en Eure-et-Loir, offre un cadre final à la hauteur de la pièce dramatique et tragique qui se joue. Une séquence finale absolument magnifique. Une scène culte durant laquelle Joss se livre à une marche mortuaire sous tension pendant que son sort se décide. Un grand moment du cinéma français. Le montage de Michelle David est énergique à souhait, faisant qu'un avec les cascades de Claude Carliez et Rémy Julienne. Une teneur parfois très violente qui n'hésite pas à tendre vers l'humiliation de certains personnages. Un ensemble de qualité technique qui tire le long-métrage vers le haut pour lui offrir une parure adéquate. 


Jean-Paul Belmondo sous les traits du commandant Josselin Beaumont, alias Joss est tout à fait exceptionnel. Un espion remarquable capable de se mouvoir en terre ennemis comme bon lui semble. Craint par sa hiérarchie, c'est un agent surentraîné au tempérament si détaché qu'on ne sait jamais s'il plaisante ou s'il est très sérieux. Un espion qui en a gros sur la patate et qui est prêt à régler son ardoise. La dimension humaine de ce protagoniste est satisfaisante le ramenant à une échelle beaucoup plus faillible en tant que mari qui trompe sa femme avec une maîtresse. Un personnage culte à la hauteur du talent du comédien qui effectue lui-même les cascades. Jean-Paul Belmondo qui présente ici sa troisième collaboration avec Georges Lautner, après "Flic ou Voyou" et "Le Guignolo". Collaboration qui sera rééditée après cette œuvre avec "Joyeuses Pâques" et "L'Inconnu dans la maison". Robert Hossein pour le commissaire Rosen est excellent. Un antagoniste à la hauteur capable de donner du fil à retordre à Joss. Rosen est un homme froid et cruel, capable des pires atrocités pour obtenir ce qu'il souhaite. Hossein face à Belmondo n'a pas à rougir, faisant un excellent boulot d'interprétation à travers un regard noir et haineux qui te colle le frisson.


Gérard Darieux pour Picard m'amuse beaucoup, me faisant penser à une relecture du colonel Trautman par Richard Crenna dans Rambo. Michel Beaune pour le capitaine Édouard Valera est crédible en tant qu'agent partagé entre les ordres et son amitié pour Joss. Il apporte une petite tonalité dramatique supplémentaire. Jean-Louis Richard pour le colonel Martin est délectable à souhait dans le rôle d'un enfoiré de première qui n'hésite pas à sacrifier ses propres hommes. Bernard-Pierre Donnadieu pour l'inspecteur auxiliaire Farges s'en sort bien. Le pauvre bougre il en prend tout du long plein la tronche. Pierre Saintons pour le président N'Djala, propose une incarnation insidieuse qui colle parfaitement avec le côté diabolique de ce dictateur. Côté distribution féminine, les créatures de rêve se succèdent avec Élisabeth Margoni dans le rôle de Jeanne, la femme de Joss. Je tire mon chapeau à la comédienne qui a du tourné des scènes difficiles et toute nue qui ne devait pas être facile à faire. Cyrielle Clair pour Alice Ancelin est ravissante à souhait. Discrète, elle est celle qui m'a le moins marqué malgré une incarnation honorable. Enfin, Marie-Christine Descouard en tant que Doris Frederiksen, une prostituée de luxe, apporte un tempérament dynamique supplémentaire à la trame. Une vitalité qui n'est pas pour me déplaire.



CONCLUSION :



Le Professionel est un thriller d'action d'espionnage écrit et réalisé par Georges Lautner. Entouré d'une équipe réunissant la crème de la crème, le cinéaste livre un périple mouvementé qui du début à la fin assure le spectacle pour mieux régaler le spectateur. Une œuvre majeure qui aussi bien dans le fond que la forme marque le coup avec un Jean-Paul Belmondo fantastique.


Une des plus belles pièces du polar français.




  • Deux de mes hommes vont vous suivre pendant quelques jours.

  • Vous ne me demandez pas mon avis ?

  • Ton avis, je m'en branle.

  • Si je refuse ?

  • Si tu refuses, tu auras un accident. Un accident d'ascenseur par exemple. La crémaillère qui pète, et on te retrouve six étages plus bas avec tes talons aiguilles dans la bouche.


B_Jérémy
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste « Cocorico ! » : classement du meilleur au pire des films appartenant au cinéma français

Créée

le 10 févr. 2023

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