"Vous n'avez pas envie de savoir. Vous avez envie d'être... dupés."

Londres, fin du XIXe siècle. Alfred Borden (Christian Bale), magicien de grand renom est soupçonné d’avoir causé la mort de son concurrent Robert Angier (Hugh Jackman) au cours d’un spectacle de ce dernier. En prison, il a l’occasion de lire le journal intime d’Angier. Il va découvrir tout ce que ce dernier a fait afin de percer le secret du plus fameux tour de Borden, L’Homme transporté. Un secret qui semble cacher de nombreuses souffrances de sa part. Autant que celles subies par Angier à cause de sa quête d’explication. Jusqu’où ces hommes sont-ils prêts à aller l'un pour cacher, l'autre pour découvrir la vérité ?


S’il ne constitue probablement pas le plus grand film de Nolan, il n'est pas impossible que Le Prestige en soit l’œuvre la plus aboutie. De fait, pour peu qu'on soit prêt à supporter deux heures oppressantes, à l’ambiance aussi pesante que réussie, il est difficilement concevable de tourner le dos à ce qui apparaît comme un des meilleurs scénarios que le cinéma nous ait offert. On a beau voir et revoir ce film, chaque vision nous apporte encore plus de détails, bannissant à chaque fois davantage tout soupçon d’incohérences (même si l'on peut entrevoir quelques légères failles narratives ici ou là).
Il faut dire que Christopher Nolan et son frère Jonathan ont mis plus de quatre ans à écrire ce scénario époustouflant, pratiquant la mise en abyme avec un art consommé, un scénario qui ne cache rien à son spectateur (ce qui n’est pas directement montré peut se deviner d’après ce qui l’est), mais qui parvient à surprendre de la plus belle manière qui soit un spectateur qui ne demandait qu’à être dupé, à travers ce qui reste encore aujourd'hui un des plus grands twists du cinéma.


A travers le monde de la magie, c’est le monde de l’art en général que décrit Nolan, et c’est un vibrant hommage qu’il lui rend, notamment à travers la splendide tirade finale de Hugh Jackman, ou bien à travers l’emploi de John Cutter (Michael Caine) comme narrateur, décortiquant l'illusion magique, d'une manière qui peut tout aussi bien s'appliquer à l'illusion cinématographique. Car tout son film est construit comme un immense tour de magie, respectant à la lettre les trois étapes que sont la promesse, le tour et le prestige.
Mais ce puissant hommage à l’illusion artistique n’est qu’un des multiples thèmes abordés dans cette œuvre foisonnant de sujets tous plus intéressants les uns que les autres : le rapport de l’homme à la science, magie de l’homme moderne, les limites du dévouement que doit consacrer un homme à son art, mais aussi la vacuité de l’orgueil, de l’obsession et de la vengeance, décrite de manière très juste comme une spirale infernale qui, non seulement, broie celui qui en est l’objet comme celui qui en est l’initiateur, mais qui broie également tous leur entourage. Et si cette grande leçon humaine est mise en scène avec une noirceur extrême, sa portée n’en est que renforcée par des personnages parfaitement écrits et parfaitement incarnés par des acteurs qui trouvent à peu près tous ici leur plus grand rôle.
Il faut dire que grâce à l'immense talent de ces derniers, Nolan réussit, contredisant brillamment ses détracteurs, à déployer une vaste palette d'émotions au gré de ses diverses péripéties, particulièrement lorsqu'on observe le parcours des deux principaux antagonistes au travers du regard de leur entourage.


Enfin, sur la forme, c'est peu dire que Le Prestige est une merveille. Toujours d'une immense sobriété, la photographie n'a jamais rien de hasardeux, et l'image suit plus que jamais le discours, avec une alchimie véritablement unique. Magnifiant constamment les fabuleux décors du fidèle Nathan Crowley, et le jeu des acteurs tous impeccables, donc, la photographie de Wally Pfister et le montage de Lee Smith créent un écrin de choix pour accueillir la pépite que Nolan veut nous faire contempler.
Et, de fait, en s'éloignant radicalement du roman (pour le mieux !), Nolan crée un vrai film de Nolan plutôt qu'une adaptation romanesque quelconque, personnalisant pour le mieux le matériau de base, qu'il a intégralement recréé, avec une intelligence dépassant de loin celle de Christopher Priest.


Ainsi, Le Prestige n’est peut-être pas le meilleur film de Nolan, mais il en est, à coup sûr, le plus puissant. Non, Le Prestige n’est pas comme un tour de magie. Le Prestige, c’est un tour de magie.



Vous n'avez jamais compris pourquoi on le faisait. Les spectateurs connaissent la vérité. Le monde est simple, misérable, si figé d'un bout à l'autre. Mais si vous pouvez les duper, ne serait-ce qu'une seconde, vous les faites rêver, et alors vous découvrez quelque chose de très spécial. Vous ne voyez vraiment pas ? C'est cette lueur dans leurs yeux...


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le 8 janv. 2017

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Tonto

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