Christopher Nolan n’est pas forcément un réalisateur que j’aime beaucoup, mis à part pour The Dark Knight où il semble qu’un miracle se soit produit, mais Le Prestige réunit vraiment tout ce qui me déplaît dans sa manière même d’aborder le cinéma. La première chose qui me frappe avec ce film, c’est qu’il n’y pas de scènes. Ce que je veux dire par là, c’est que chaque séquence est réduite à quelques enchaînements de plans permettant tout juste de faire avancer le scénario. Mais une scène, ça doit bien se poser de temps en temps, avoir une ambiance, une durée, laisser des impressions au spectateur. Dans ce film, une scène commence à peine qu’elle est déjà finie. Tout n’est que montage parallèle, des bouts de séquences juxtaposés. Si ce qui est intéressant pour le scénario, c’est que Bale monte sur scène pour faire foirer un spectacle, on ne montrera que ça, et avec le moins de plans possible. Tout n’est qu’enchaînement rapide de situations, et ce n’est jamais que ça ce film : des situations, qui passent, les unes après les autres pour servir tous les retournements, nous gaver de twists.

Tout ça fait que pendant deux heures, je me demandais constamment ce que Nolan pouvais bien essayer de me faire ressentir. Et je pose la question sérieusement, quand Bale fait foirer le spectacle de Jackman pour se venger, quel est le but pour Nolan ? Est-ce que c’était de créer de la tension ? Non, puisque la scène a commencé juste avant et qu’il n’y a donc eu aucun suspense sur l’issue du spectacle. Voulait-il que l’on aie de l’empathie pour le pauvre Jackman, humilié devant une foule de spectateurs ? Non plus, puisque la séquence s’arrête immédiatement après, qu'on ne voit quasiment pas la réaction du public et que comme les scènes n’ont pas de durée, le personnage est absolument creux. Non, le but, c’était simplement de nous informer que Bale a fait foirer le spectacle pour se venger. Ce film, c’est une succession d’informations, de points d’étape sur l’avancement du ô combien complexe scénario de Nolan, rien de plus.

C’est comme si un comique, disons Raymond Devos, montait sur scène pour raconter une de ses histoires, mais en ne gardant que ça, l’histoire, et en oubliant le comique, la magie, le rire, l’émotion, le durée et les silences qui amènent un jeu de mot ou une chute. Le Nolan qui a réalisé Le Prestige, un film qui parle des arts de la scène, c’est celui qui, devant un spectacle de Devos, va prendre des notes sur l’histoire qui est racontée… Ce n’est pas pour rien que personne à part Devos n’arrive à faire rire avec un texte de Devos. Si c’est mal joué ça ne prend pas. Le début du film est symptomatique de ça d’ailleurs : Michael Kane, et à travers lui Christopher Nolan, nous explique comment faire, selon lui, un bon tour de magie, mais on se rend compte que tout ce qui l’intéresse, c’est la théorie autour de la structure d’un tour, sans jamais mentionner la façon de le présenter, de le jouer, de capter (ou détourner) l’attention. Ce qui lui plaît, c’est le « prestige », à savoir le twist final. Un bon petit film de scénariste qui s’intéresse finalement bien peu à l’art cinématographique.

Et de fait, on ne développe pas la moindre empathie pour les personnages. Pourquoi n’y a-t-il jamais d’alchimie entre les deux magiciens alors qu’il est censé s’agir d’une amitié brisée ? On en oublierait presque l'inimitié qui les lie tellement c'est froid, alors que tout ne tourne autour que de ça. Certes, il y a une opposition vis-à-vis de leurs méthodes de travail, ce qui peut se mettre en parallèle avec différentes conceptions du cinéma : faut-il préférer le charme des techniques à l’ancienne aux innovations qui rendent tout possible ? Est-ce que la science n’est pas en train de tuer le « magie » du cinéma ? Mais avant de se poser ces questions, avant de se demander par quels moyens faire du cinéma, il faudrait peut-être déjà envisager de faire du cinéma justement, ce que Nolan ne fait jamais, trop préoccupé par sa démonstration. Si sur le papier, je vois bien en quoi les personnages s’opposent (en même temps c’est dit textuellement), à l’écran il n’y a rien, pas de personnalité, pas de caractère. Tout est purement informatif. La fin est presque ironique : Nolan peut tuer tous les clones de Jackman qu’il veut, pour le spectateur ce sera complétement inconséquent.

L’objectif du film semble être de nous amener vers toujours plus de retournements et d’effets de surprise, mais quel intérêt puisque dans la mise en scène, ça n’a aucun impact, que ça ne conduit ni à une rupture brutale dans la perception du spectateur, ni à un suspense, ni rien... C’est juste un jeu gentillet pour savoir qui avait en fait un coup d’avance sur l’autre depuis le début entre Bale et Jackman, une sorte d’autosatisfaction pour Nolan pour se donner le sentiment d’avoir tout contrôle sur son scénario. Le pire c’est que comme dans Inception et Interstellar, on a des moments insupportables où c’est limite si les personnages ne prennent pas un papier et un crayon pour nous expliquer des banalités scientifiques, des lieux communs, de la science de comptoir ; il faut vraiment qu’il arrête avec ça…

Tout ça pour dire que les démonstrations techniques de Nolan et son histoire faussement compliquée, je m’en fiche totalement. Tout est bien trop plat sur le plan artistique. Le scénario l'emporte complétement sur le cinéma, le rend impossible. Le dernier échange entre le personnage de Bale et son frère n'a aucun sens par exemple, parce que celui dont Nolan veut cacher l'identité ne dit rien et n'affiche aucune émotion, et le spectateur ne sait pas qui c'est donc se fout de ce qui se passe. Je n’aime pas trop l’expression de « film de petit malin », mais là on est quand même en plein dedans. Tel un prestidigitateur, Nolan détourne notre attention avec un montage expéditif et des retournements dans tous les sens, au point de nous faire oublier que devant ce film, on ne voit rien, on ne ressent rien.

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le 24 mai 2023

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