Un nom peut parfois suffire à me faire asseoir dans l'un des fauteuils rouges moelleux de ma salle de cinéma préférée. Spielberg, en effet, est l'une des pierres angulaires de ma modeste cinéphilie. C'est d'abord toute ma jeunesse avec un des premiers films que j'ai vus, celui où un extra-terrestre tout ridé m'a tiré mes premières larmes. C'était aussi l'expression de mes premières peurs avec un prédateur aquatique dont la taille faisait dire un "nous allons avoir besoin d'un plus gros bateau" passé à la postérité. Spielberg, c'est aussi un aventurier avec un fouet ou encore l'avènement des effets spéciaux que l'on connait aujourd'hui pour donner vie à des dinosaures vénères.


Le réalisateur aura aussi accompagné mon appétit sans limites, en m'offrant à un rythme très régulier au cours des années 2000 et sans presque jamais me décevoir une pitance toujours appréciée et à la saveur sans cesse renouvelée, entre action, animation 3D et morceaux d'histoire. Le Pont des Espions est directement issu de cette dernière catégorie, tout en y mêlant le rôle qu'affectionne le plus Tom Hanks, celui du gars ordinaire, bon samaritain, à qui est promis un destin extraordinaire qui dépasse sa simple condition ou son unique volonté.


Les premières minutes du Pont des Espions fleurent bon, à première vue, le film procédural pantouflard et ronronnant dont les Américains ont le secret. Mais ce serait sous-estimer gravement Steven Spielberg que de croire qu'il aurait cédé à cette facilité. Car au contraire, il évite au maximum les scènes de prétoire fastidieuses et soporifiques, les scènes d'entretiens entre l'avocat et son client afin de préparer la défense. Spielberg expédie tous ces passages obligés rapidement pour se concentrer sur la parodie de justice. Ces scènes sont inutiles puisque la condamnation de l'espion russe défendu par ce petit juriste en assurances est acquise d'avance. Le réalisateur préfère en effet dépeindre le climat de guerre froide et de suspiscion qui étreint l'Amérique, les menaces aveugles et imbéciles qui pèsent sur le personnage principal, l'hypocrisie et le cynisme de la nation et du système. Cette première grosse demi-heure est aussi prétexte à dessiner le rôle de Tom Hanks, un homme ordinaire qui ne fait que son devoir tout en suivant une certaine rectitude morale, voire humaniste.


Ce ressort n'est que le propulseur d'une intrigue qui, par la suite, voit les nations rentrer dans la danse par le biais de représentants plus ou moins sérieux. Russie et Etats-Unis jouent aux échecs, bien sûr, dans des négociations marquées par le cynisme dont font preuve les épiciers dans leurs calculs alors qu'ils jouent avec des prisonniers et des vies humaines. C'est aussi la R.D.A. qui s'invite à la table du jeu. Et c'est l'occasion pour les scénaristes, Joel et Etan Coen, de faire faire à Tom hanks un véritable coup de billard à trois bandes. Mais cette manoeuvre dangereuse ne sera possible qu'à coups de négociations, de rendez-vous, de duels verbaux tendus, de frustrations des contacts ou de bluffs dignes d'une partie de poker menteur.


Cela pourrait paraître ennuyeux, surtout que cela se passe majoritairement dans des bureaux d'ambassade, de juristes ou des chambres d'hôtel miteux. Ce serait oublier que le scénario est béton et que l'ami Steven est derrière la caméra, réussissant le tour de force, par une réalisation aux petits oignons, de faire monter la pression et de conserver une tension intacte qui ne lâchera à aucun moment le spectateur. Que ce soit par une "balade" à pied le long du mur de Berlin afin de rejoindre un lieu de rendez-vous, une conversation à haute vitesse en voiture ou encore un échange tout autant haletant qu'il se révèle paradoxalement statique, Le Pont des Espions a tout bon. Il ménage même quelques instant d'un humour froid à la limite de l'absurde, typique de la fratrie Coen, tandis que Spielberg offre au spectateur une saisissante représentation de l'époque, tant dans les décors désolés d'une ville en ruines et sous administration militaire que dans l'atmosphère suffocante de guerre froide entre climat de doute, projections alarmistes, peurs et supputations. Tom Hanks, lui, est comme un poisson dans l'eau est bénéficie de la superbe caractérisation de sa relation avec son client russe.


Tout cela contribue à faire du Pont des Espions une nouvelle réussite que nous offre Steven Spielberg, entre tension menée de main de maître et peinture d'une époque surprenante au fur et à mesure que le cinéma s'empare progressivement de ses moments les plus incroyables, voire rocambolesques.


Behind_the_Mask, qui a choppé un gros rhume.

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le 2 déc. 2015

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Behind_the_Mask

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