Jamais désigné par son nom, le petit garçon en question (Tetsuo Abe) arpente les rues de la ville habillé d’un uniforme sombre de collégien, uniforme orné de boutons dorés qui vont s’harmoniser avec la casquette qu’il obtient que la mère lui achète. Cette casquette il y tient, c’est ce qu’il possède, ce qui lui donne une silhouette bien reconnaissable. A première vue peu expressif (visage assez lisse et presque inquiétant, comme assez étranger à ce qui se passe autour de lui), on l’observe d’abord chanter une sorte de comptine dans des quartiers où, malgré une circulation parfois intense, il reste bien isolé. A l’occasion il passe sur un pont rouge, mais l’histoire ne dit pas si dessous, c’est de l’eau tiède qui coule.


Prétendument invalide de guerre (circonstances incertaines), le père (Fumio Watanabe) a entrainé la famille dans une situation de fuite perpétuelle (on les voit dans un train, direction Fukushima !) Cet homme a une compagne (Akiko Koyama) qui n’est pas la mère du petit garçon. Mais, avec cette femme il a eu un autre enfant, encore un garçon. De nouveau enceinte, la jeune femme demande si elle doit garder l’enfant. Pas spécialement ravi par cette perspective, le père esquive sa responsabilité en lui répondant de faire ce qu’elle veut. Mais, si elle a déjà eu l’occasion d’avorter et sait parfaitement où aller pour cela, elle ne sait pas vraiment ce qu’elle souhaite. Elle aimerait bien que le petit garçon soit en mesure de réaliser la gravité de la situation… Il a 10 ans !


Nagisa Ōshima explore le malaise du milieu familial, en s’inspirant d’un fait divers survenu en 1966 au Japon. Une famille s’était organisée pour monter une petite arnaque auprès des automobilistes, se jetant habillement contre leurs voitures pour leur faire croire qu’ils les avaient renversés. But de la manœuvre, obtenir une contrepartie financière par un arrangement à l’amiable permettant d’éviter l’intervention de la police. Ōshima y a probablement vu un révélateur de la société japonaise lui permettant d’aborder des thèmes lui tenant à cœur : la difficulté à vivre, la culpabilité et son mode de transmission, enfin la tendance autodestructrice qui en découle.


Ce que le réalisateur montre bien, c’est ce milieu familial où le petit garçon ne s’épanouit pas, tiraillé entre son père et sa belle-mère, sans réelle complicité avec son demi-frère encore trop jeune. On peut même s’étonner qu’il revienne vers cette cellule familiale après une fugue.


Par contre, le manège familial pour arnaquer les automobilistes, peu convaincant dans son orchestration, montre que l’époque de tournage (1969) est désormais assez lointaine. L’important, la principale motivation du futur réalisateur de Furyo et de L’empire des sens, c’est l’implication du petit garçon qui se trouve en première ligne, à simuler chutes et blessures. La culpabilité qu’il ressent s’accroit avec le système utilisé pour crédibiliser ses blessures. L’enchainement des faits aura des conséquences psychologiques certaines.


Dès le générique de début, on observe la silhouette bien reconnaissable du drapeau nippon en gros plan. L’atmosphère générale rappelle, notamment dans des intérieurs, qu’Ōshima est un compatriote d’Ozu. Les couleurs sont bien présentes et le cinéaste prend son temps pour décrire le milieu familial, avec ses rapports de force et ses malentendus.


Le petit garçon du titre (Shonen) est bien le personnage central du film. Comme le montrera Sidney Lumet deux décennies plus tard (1988) dans A bout de course, bien que très jeune il est déjà marqué par tout son vécu. Il a malheureusement subi le choix de vie familial, avec toutes les conséquences que cela implique. Ce n’est pas un hasard si le petit garçon s’oppose plus particulièrement à son père (début de complexe d’Œdipe ?), puisque c’est lui qui entraine toute la famille dans cette arnaque. Un système tellement pesant pour le petit garçon qu’il pense que tout irait mieux s’il n’était pas là. Évidemment, la petite arnaque a tourné au drame et, si jusque-là, il pouvait chercher à fuir la combine familiale, il ressent désormais un terrible sentiment de culpabilité (symbolisée par une botte rouge dont il ne sait quoi faire). Une culpabilité dont Ōshima montre qu’elle peut se transmettre involontairement et marquer à vie.


Le thème de la fuite est donc central ici. Fuite physique pour échapper au milieu familial contraignant et à ses conséquences. Fuite mentale pour échapper à la culpabilité. Une culpabilité à laquelle même un gamin de 10 ans ne peut pas se soustraire, alors qu’il a des envies de son âge manifestées par une obsession pour les extra-terrestres.

Electron
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le 15 mars 2015

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