Sorti la même année que L’Ennemi Public de Wellman, Le Petit César appartient à cette catégorie du film de gangsters qui fit sensation, sur une période finalement assez restreinte : entre la crise de 29 et l’instauration du Code Hays en 1934, les protagonistes sont des représentants du monde criminel, bien décidés à se faire une place dans un monde qui les a brutalement mis de côtés. De grands noms émergent sur ce registre, comme Hawks (Scarface, en 1933) ou Mervyn LeRoy qui réalise donc ce Petit Cesar avant de retrouver cette thématique dans le superbe Je suis un évadé en 1932. L’opinion est choquée, mais le public se rue dans les salles, face à des sagas d’autant plus violentes qu’elles exploitent désormais le son, qui ajoute au sensationnel du fracas des fusillades ou des courses poursuites.


Le Petit Cesar souffre de quelques maladresses explicables par son contexte de production : tourné avec les moyens d’une série B, il essuie aussi les plâtres du passage au parlant, par un certain excès de verbalisation ou la théâtralité de jeu de certains personnages.
Mais il n’en reste pas moins une belle réflexion sur l’ambition et l’ascension par le crime. Edward G. Robinson, qui semble coulé dans le même moule que James Cagney pour un rôle tout à fait similaire, nous retrace une trajectoire fulgurante qui voit un homme prendre par la force le pouvoir. Tout semble particulièrement facile, et montre comment le ressentiment et la violence peuvent être les ressorts essentiels du succès.


Sur ce canevas, le réalisateur prend néanmoins soin d’instaurer une certaine distance, qui se fera essentiellement par le positionnement de son regard. Car le malfrat est avant tout obsédé par son image. Les zooms nerveux, les cadrages jouent toujours de la façon dont il cherche à occuper l’espace de façon centrale. Son ascension sociale sera ainsi ponctuée par les représentations qu’il pourra faire de lui-même : dans un miroir, sous les yeux d’un photographe, dans la dorure d’un cadre de peinture au format royal… Ce qui compte, bien plus que la richesse ou la compagnie des autres, c’est la célébrité, gage, selon ce protagoniste, d’une étendue illimitée de son pouvoir. Mervin LeRoy exploite parfaitement cette immaturité du personnage et en fait une clé de lecture assez passionnante, notamment dans le contraste opéré avec son ancien comparse qui s’est retiré du jeu en s’adonnant à sa passion, la danse.


Il est le grain de sable dans la mécanique impériale de César, et causera sa chute. Pour ce qui est de son châtiment, on saura lui tendre un piège en exploitant sa vanité et son rapport à l’image. Ironie suprême, c’est sous l’affiche du spectacle de danse de son frère ennemi qu’il tombera à terre, plombé par la police.
Nul n’était besoin de le réaffirmer, mais le crime ne paie pas.


La morale ne vient pourtant pas plomber de façon didactique une trajectoire qui de toute façon semblait condamnée à l’avance. Par la pertinence de son regard, Mervyn LeRoy aura sur retranscrire l’avidité et la haine comme énergie vitale, tout en révélant la fragilité d’un homme sur la mauvaise pente.

Sergent_Pepper
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le 6 sept. 2018

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Sergent_Pepper

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