Musique !


Après avoir vu Le Parrain, pour la première fois – pardonnez-moi, mon Don, car j'ai péché – je ne peux m'empêcher de me demander ce qui fait de ce petit morceau de presque trois heures un classique indétrônable, une étoile au firmament de l'amateur de cinéma, un monument sur bande.


Comme je suis un garçon je me suis tout d'abord demandé si la faute n'en revenait pas aux voitures. Ces belles Cadillac de 1940, noires, rutilantes sous le soleil New-yorkais. Ces véhicules qui glissent dans la nuit, charriant des hommes en complet - borsalino vissé sur la tête, arme au poing. Ces véhicules abandonnés au détour d'un meurtre, le sang éclaboussant le pare-brise fracturé...
Puis je me suis souvenu que je n'aimais pas Fast & Furious, qui en matière de tire fait figure de poids lourd.


Continuant mes pérégrinations mentales à la recherche de l'essence même du grand film, je me suis dit que cela devait avoir à voir avec l'image. En la matière, le Parrain en a une superbe. Quel grain ! Quel panache ! Quel travail sur le moindre détail pour que tout y concorde, ombre et lumière finement entremêlé, rais de lumières qui viennent tamiser un bureau laissé dans l'ombre tandis qu'au dehors, en plein jour, la fête bat son plein. L’œil s’enthousiasme lorsque, au détour d'un plan, elle trouve une scène de jour, en extérieur, tout en ombre où seul quelques tâches dorées viennent peindre le sol. Quel travail du merveilleux chef-op' Gordon Willis*. Et que dire de ces scènes de nuit à l'ambiance feutrée, qui enveloppe les acteurs jusqu'à parfois ne laisser visible que leurs visages qui se détachent dans le noir, leurs yeux soudain perçant l'obscurité, le temps d'une réplique. Mais je me suis aperçu que certaines claques esthétiques n'atteindraient jamais ce statut.


Alors tout monument filmique ce doit d'avoir des scènes marquantes, me dis-je. En la matière, Le Parrain n'est pas en reste. L'ouverture, ce plan du visage de Bonasera puis la caméra qui progressivement recule, laissant apparaître le Don. Cette scène à l’hôpital, ce pic de tension qui sait s'entrecouper de petits moments d'intimité entre un père et son fils, lorsque Michael prend la main du Don, lui murmurant



I'll take care of you now. I'm with you now. I'm with you...



Dois-je parler de ces passages en Italie avec Apollonia ? Ces scènes, ces décors, cette femme... Je peux mentionner cette scène dans les champs de blé, la statue de la Liberté nous tournant le dos. La voiture avalée par les épis, le meurtre déguisé et la phrase de Clemenza



Leave the gun. Take the cannoli.



Mille et une images pourraient être évoquées. Chaque plan est un monument. Et les répliques sont si mythiques que même le profane les connaît avant d'avoir vu l’œuvre. Tous les dialogues de Don Corleone sont passés à la postérité. Répétés jusqu'à épuisement les



I'm gonna make him an offer he can't refuse.



Les scènes furent rejouées dans les cours d'écoles par des gamins qui ne connaissaient même pas l’œuvre, sous la direction de copains mieux renseignés... l'étaient-ils ?


Ces instants marquants ne peuvent l'être que parce que l'histoire l'est, non ? J'imagine. Et pour qui se pique d'histoires de mafia, de vengeance, de trahisons et de coups de poignards dans le dos, quelle aventure que Le Parrain. Mais plus que cela, le chef-d’œuvre de Coppola c'est l'histoire d'un vieux lion, d'un roi qui à l'orée de son règne ne comprend plus le monde dans lequel il se trouve. La fascination exercée sur le spectateur par ce milieu mafieux est renforcé par la figure du Don, presque anachronique, attaché aux traditions et aux vieilles valeurs, refusant la drogue. Un homme qui se brise avec dignité, refusant de partir avant ses ennemis. Je pense aussi que Le Parrain ce suffit à lui-même, sans besoin de ses suites. Je ne sais pas si je dois les voir...


Je voulais conclure là, puis je me suis souvenu que l'affaire était aussi entre les mains d'une équipe, d'un casting. En matière de direction, Francis Ford Coppola n'était pas le dernier des Philistins, et il sut parfaitement adapter avec Puzo - l'auteur du roman - puis l'adapter à l'écran. Il sut choisir avec soin un casting impressionnant, casting voulu le plus réaliste possible, ce qui explique le nombre important d'acteurs Italo-américains, dont un Al Pacino peu connu à l'époque. Bon, Marlon Brando n'est pas Italo-américain, mais avec son talent et un peu de coton, il pourrait même passer pour un chinois si il le voulait. Impérial, c'est le mot.


Au final, voilà que je m'arrête sur la musique de Nino Rota qui est devenu elle aussi mythique. Et que je me demande si même avec tout ça combiné, avec le talent de l'équipe, avec la chance de le sortir au bon moment, avec l'aura de la gloire que la patine de l'âge a rendue plus brillante... même avec tout cela, je sens qu'il me manque un petit quelque chose. Pour faire un grand film, il faut aussi que le spectateur joue sa part...


I was a fool dancing on the strings held by all of those big shots

Petitbarbu
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le 11 juil. 2015

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Petitbarbu

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