Une femme, pas plus ou moins détachée du monde qu'une autre, s'en va passer quelque jour avec des amis à la campagne, en Autriche, et se retrouve complètement seule, sans ressources humaines. Rien d'extraordinaire au départ donc même si on sait déjà, par la voix off présente et envahissante pendant tout le film, que quelque chose va se passer. Rétrospectivement, sans que rien ou presque ne se soit arrangé, elle raconte comment elle s'est retrouvée entièrement isolée au petit matin. Basculant alors dans une forme de fantastique nimbé de magnifiques paysages, le film confronte son héroïne, malgré elle, à une étrangeté nouvelle. Tout est calme, anormalement serein... vide. Elle part donc en talons et en pyjama sur un chemin de montagne pour tenter de comprendre, accompagné de celui qui deviendra son plus-que-fidèle compagnon "Lynx", un magnifique chien. Et voilà que les deux se heurtent à un mur. Mais pas n'importe lequel, un mur transparent, tenace, invisible qui laisse apparaître le monde devenu inaccessible, et fait surgir la solitude.

Le parcours de cette femme est donc par un petit dérèglement à l'allure fantastique plongé dans une réflexion bien plus profonde sur sa condition d'être humain et à fortiori celle de tout être humain. Entourée bientôt d'animaux qui surgissent comme des miracle, elle vit par et pour eux, tout en cherchant à évite de tomber dans la folie, la bestialité, l'animalité. Pourtant, rien ne la distinguera vraiment d'eux, à part cette conscience constante de sa propre existence et du temps qui passe. Pourquoi survivre quand toute vie humaine, toute relation sociale semblent ne plus être un horizon ? La question est là, en suspens, pendant tout le film puisque nous observons une femme qui vit, qui se bat, qui explore, qui se découvre une force incroyable, qui aime autrement. Plus d'espoir, juste un devoir envers ses animaux qu'elle a recueillis. Qu'est-ce qui la maintien consciente alors que la folie sourde guette ? Une sensibilité supérieure peut-être qu'elle développe pour le monde et les choses. Au début, elle se heurte souvent au mur, qui rend le monde sourd à ses cris, puis elle ne cherche plus à l'appréhender, à le comprendre, elle l'accepte, elle l'oublie. Nous aussi, on la regarde vivre. Ses moments d'abattement sont balayés par la joie de ses nouveaux amis. Elle recréer des rituels qui jaugent une vie humaine. Elle maîtrise son temps, autrement. Il n'y a presque plus de nuits, ni de jours mais il y a les habitudes. Le temps ne disparaît jamais complètement, dernier regain d'humanité que les bourreaux de "1984" s'échinaient à abolir, certes elle a "arrêté la grande horloge dans sa tête", s'est désolidarisée des horaires et a atteint l'apaisement. Mais elle structure toujours sa vie en fonction des saisons, des repas, du coucher et du lever et d'instants, de soins, de rencontres fugaces avec un oiseau du ciel qui lui donnent la route à suivre, un but à conquérir.

Le film, de par sa réflexion, est d'une justesse infinie sur ce que c'est "qu'être humain". Il est à la fois profondément apaisant mais aussi totalement angoissant. Du fantastique, il bascule dans la quête d'une survie, d'une manière compulsive, il s'échine à donner à son personnage, incarnée par une formidable actrice, des parcelles d'humanisme, des pensées. L'écriture la sauve après les pertes. Ce n'est plus une vie, c'est une survie qui s'émancipe du monde d'en face dont le mur, qu'il soit réel ou symbolique, la sépare tout à fait. Sa poésie, sa noirceur sont deux frères ennemies dans ce long métrage, d'où l'ambivalence de nos sentiments. Ce mur est comme un miroir de notre condition, une vraie claque. Dommage cependant que pour adapter une oeuvre littéraire, il est fallu avoir un recours incessant à cette voix off, certes magnifique, qui bloque parfois la force cinématographique de l'oeuvre. Pourtant, dans les instants de silence, d'observation, comme suspendus du film, le cinéma demeure, c'est bouleversant.

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le 8 oct. 2014

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eloch

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