Après avoir fait ma déclaration d'amour au premier et avoir admis avoir appris à apprécier ce gros nanar rigolo de troisième, il me reste à dire en quoi ce Monde Perdu est pour moi un (très) bon film. Et j'ai comme l'impression étrange que c'est bien le plus difficile à défendre de cette fausse trilogie, ne disposant ni de l'aura d'oeuvre culte plus ou moins admise du premier, ni celle de bouse rigolote du troisième.


J'avais 14 piges quand il est sorti. Absolument pas objectif, je n'étais qu'un gosse fou de dinosaures, passionné de sauriens, boulimique de bouquins sur ces dragons du passé, emmagasinant noms, caractéristiques et imagerie dans ma caboche avec la voracité d'un raptor nourri au yaourt depuis un an tombant devant une carcasse de diplodocus toute fraîche (si vous me pardonnez cet anachronisme). Ouais... un peu comme maintenant en fait.
Bref, autant dire que quand l'annonce d'une suite à Jurassic Park commença à filtrer, je bavais comme le xénomorphe d'Alien. Et surtout, autant dire que quand j'ai vu la dite suite, je m'étais délesté de tout esprit critique sur les pures merveilles qui m'étaient données, magnifique lampe d'Aladdin exauçant tous mes voeux les plus osés, coffre à jouet si généreux qui, une seconde fois, me plongeait dans mes rêves de chaque jour avec une crédibilité effarante.


Il faut quelque peu oublier le premier film là, on est plus dans la même optique. Jurassic Park était, au delà du film de dinosaures de Spielberg, LE film de dinosaures qui, avec King Kong, restera à jamais inégalé (bon, j'ai comme l'impression que cette critique sera doté de l'objectivité d'un gosse de 14 ans). Alors passons sur l'attente d'une suite qui tienne la comparaison, ce n'est pas du domaine du possible.
En 1997, Spielberg vient de pondre le dit Jurassic Park et directement après, a gravit son Everest, La Liste de Schindler. Éprouvé, éreinté et vidé, il a comme un besoin de prendre l'air et de respirer un peu, alors il se barre dans la jungle, une activité que jadis il affectionnait tant alors qu'il allait quérir quelques reliques bibliques ou jouer du funambule sur des ponts suspendus au dessus de crocodiles affamés. L'aventure, Spielberg la maîtrise, et c'est un des plus beaux ersatz d'Indiana Jones qu'il nous sert ici, agrémenté de quelques gros iguanes.


Une île perdue, une aura de mystère planant sur ces collines brumeuses et touffues aux allures impénétrables, l'accostage périlleux entre roulis et lames de fond, climat de tension ambiante sur d'obscures légendes, un marin qui refuse de rester sur place, l'air terrorisé, quelque humains mettant le pied sur cette terre peu avenante, terriblement placide et muette comme l'araignée tranquille au fond de son trou patientant devant quelques mouches aventureuses. Le film n'est plus Jurassic Park, Spielberg nous offre sa version du monde perdu tant de fois éprouvé au cinéma avant lui, sujet essoré jusqu'à la carcasse, à la trame toujours commune.
Quelques homos sapiens sont livrés à eux même dans ce sombre inconnu verdâtre et roucoulant, forêt démesurée d'un autre âge, image aussi charmante et poétique que terrifiante où éclats de clarté et ténèbres angoissantes s'accordent dans une mêlée symphonique picturale, composant une atmosphère des plus envoûtante.. et l'immense portail des rêves s'ouvre, l'oeil d'enfant pétillant de plaisir ne peut que profiter devant les tableaux mouvants antédiluviens qui se mettent à pleuvoir par cascades. Bronchement, râles rauques, hululements vibrants, pas lourds, broussailles fortement malmenées, et ça y est, on voit les premiers jaillir de cette jungle irréelle dans une démarche magnifique, menant allègrement leur imposante masse avec un naturel superbe entre les rais d'une lumière caressante irisée entre fougères géantes et dantesques troncs noueux. Un stégosaure !! Des stégosaures !! Un frisson de jubilation. Puis un autre. Et encore un.

D'autres débarquent sur l’île et cette fois c'est la foire aux lézards, le geyser aux merveilles ! Un pachycephalosaurus défonce la porte d'une jeep, un parasaurolophus joue des bollas avec deux types téméraires piètrement accrochés à son cou, les ballottant comme des poupées de chiffon du haut de ses 4 mètres, un type passe à moto entre les quatre énormes pattes d'un sauropode, un diplodocus peut être ? Ou bien un camarasaurus ? .... Mais que c'est beau... que c'est beau putain !! Ça n'arrête pas ! A ce moment du film, plus rien d'autre n'existe, tu as 14 piges et tu vis la chose la plus magnifique qui soit. Des troupeaux d'animaux énormes débarquent de partout en beuglant et le rythme s'accélère, les moteurs vrombissent dans la poussière en cacophonie total avec les braillement des gigantesques créatures dans le délié de leur cous magnifique, tentant d'échapper à cet étrange nouveau prédateur bipède, hargneux et sans écailles nous plongeant entre total admiration rêveuse et colère envers l'Humain cupide qui une fois de plus se prend pour "Dieu".


Et puis le mot "carnivore" est prononcé. Et une nouvelle exaltation parcoure ta putain d'échine.. L'homme fait bien de profiter, et de se promener dans les bois tant que le raptor n'y est pas.


Ian, Indy d'un jour, aventureux, mettant le pied dans le pire endroit du monde à ses yeux, s'enfonçant dans une jungle qui, lui le sait, cache les pires cauchemars que l'ont puisse imaginer accompagné de son cynisme si jouissif. Car lui sait. Lui lève la tête quand le sol vibre, tend l'oreille quand un chuintement saccadé et sifflant se fait entendre dans les hautes herbes, et se dresse comme un piquet au son si caractéristique de l'énorme prédateur qu'encore une fois, tout le monde attendait. Il court comme un dératé sous la pluie, halète à cracher ses viscères, déboule dans leur camion-remorque et bloque. Tout le monde bloque, et attend. Silence pesant. Et si on pensait vraiment pouvoir s'attendre à tout, on ne s'attendait pas à ça. Le ronflement sourd se fait entendre, rythmé et saccadé par accoups menaçants, l'ombre passe derrière une vitre et comme de naturel, une seconde ombre passe sur la vitre opposée et un second pas se fait entendre, et ce ne sont pas deux yeux mais quatre qui scrutent les trois infortunés humain-dîners. Un couple de tyrannosaures. Idée merveilleuse, que je me risquerai presque à qualifier de "belle". Et leur mise en scène s'avère d'une efficacité parfaite, élevant la force de destruction massive de l'animal à son sommet, le couple légèrement énervé fort désireux de récupérer bébé et éventuellement de grailler un morceau s'en donne à coeur joie, broient un 4x4 comme une cannette de coca, défoncent une remorque de plusieurs tonnes avant de lui faire faire joyeusement des tonneaux dans les sarcasmes de Malcolm, héros ironique en toute situation, parfait dans ce rôle d'aventurier blasé par le "Je vous avais prévenu...", déchiquètent une autre voiture blindée avant de se partager son occupant dans un craquement d'os et de chairs, puis repartent de leur pas lourd dans la nuit pluvieuse et les arbres torturés, toit de leur sombre et ténébreux logis.


Alors l'aventure prend le ton du pur survival. Un groupe d'homme perdu au milieu de ce monde inconnu qui n'offre rien de commun. Ni bruits, ni formes, ni ombres ne sont familières à personne, et c'est sur cette terre que ce groupe de sandwichs sur pattes doivent trouver une issue. Et alors tout s’enchaîne à nouveau, entre décors savoureux et traque sans merci, le festival de ces fantasmagories sur pattes reprend de plus belle et j'exulte.

Les compsognathus nous offrent la suite de leur remake des Oiseaux de Hitchcock version lézards alors que les tyrannosaures refont surface pour boulotter à nouveau de la chair courante et hurlante. On est en pleine série B menée avec la maestria de mise en scène qu'on ne présente plus, accompagné de quelques noms comme Stan Winston ou Phil Tippett. Pour être simple, ce n'est que pure euphorie émotive aux qualités visuelles encore à ce jour inégalées, accompagné des sentences verbales de l'éternel Jeff Goldblum aux mimiques et cynisme si plaisants.


Raptor es-tu là ?
La scène des hautes herbes reste quoi qu'on en dise une des plus cultes du genre. J'ai 14 ans, je suis devant le film et je vois ce groupe d'hommes avancer dans ces longues tiges ondulantes dans un théâtre d'ombres sous le ciel nocturne. La caméra se déplace de visage en visage avant de s'élever doucement.. et on a à peine le temps de distinguer les mortels sillages qui se creusent en coordination parfaite vers les infortunés encas. Un homme disparaît, puis un autre, et encore un autre. Le voilà bien le pire de l’île, le velociraptor, véritable reptile ninja.
La représentation du raptor dans ce film est, à mon sens, celle qui reste la plus probable et jouissive. Elle est la juste continuité du raptor "intelligent" du premier, sans tomber dans l'absurdité du raptor "presque-parlant" du troisième. Au contraire même, ce raptor là est doté d'une ruse cruelle, gravée sur sa face par le rictus naturel de sa mâchoire chuintante, mais d'une intelligence folle, le poussant à foncer comme un dératé dans tout ce qui bouge, comme un gosse bourré. Il coure, saute, rate parfois sa cible et retombe en rouler-bouler avant de reprendre un équilibre précaire et de repartir aussitôt sans broncher dans un assaut déchaîné, inlassable. C'est une boule de nerf, une fusion entre un pitbull de 3 mètres, une oie mutante et un babouin extrêmement agile avec de la nytro dans le bide. Les raptors sautent sur les toits, s’agrippent, creusent sous les portes, dézinguent les vitres ou enfoncent les portières de voitures et oublient parfois momentanément leur proie comme des abrutis pour se chamailler entre eux. Ouais, de vrais gosses bourrés et dopés... mais tellement crédibles. Ces raptors là, c'est les raptors que j'imagine constamment. Le regard aussi futé que glacé, plein d'une mortelle détermination et joueur comme des chatons. Rien de plus attachant qu'un raptor.


Et le film se devait d'en faire encore plus, et j'en ai rien à foutre parce que c'est juste génial. La clôture peut être facilement vue comme un hommage à King Kong et Godzilla réunis, un tyrannosaure ramené sur le continent en bateau, se libérant et errant librement dans les ruelles sombres de San Diego... du pur bonheur. Si, c'est du pur bonheur. L'animal magnifique déboule sur les boulevards et se fait un foot avec les voitures après les avoir coursé comme un gros gamin puis stoppe et joue avec un feu tricolore qu'il mâchouille comme une baballe. Il poursuit un bus et l'explose d'un coup de tête titanesque, juste sublime, bouffe quelques passants au passage et repart dans les méandres ténébreux d'une ville terrifiée. Dans le calme, il rend visite à une charmante famille pour se désaltérer dans leur piscine et avale leur chien pour faire passer le tout, avant que les héros ne se décident à terminer la scène dans une course poursuite éfrénée entre décapotable et lézard géant plein de dents devenu bulldozer d'une nuit, traçant sa propre route là où il le décide dans les explosions et les hurlements stridents avant de se manger un tranquillisant et de rentrer à la maison dans un gros dodo.


Le plan final nous offre un résumé de ce qu'est le film, l'image d'un monde oublié, écarté, un monde de rêves lointains qu'il est souvent très dangereux de violer. Un monde fantasmagorique qui ne garde son pouvoir et sa grâce, sa force et sa réalité que lorsqu'il est protégé. Un monde enfantin mis de côté quand on a plus 14 ans mais qu'il est bon de préserver.
Un monde d'imaginaire, qui ne garde sa beauté et sa vérité que dans l'imaginaire. Une vérité indiscutable.

zombiraptor

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