Avec le travail que j'ai, il peut m'arriver d'avoir quelques moments creux dans la journée.


Par ennui cette après-midi, je me suis demandé ce qu'il y avait en court métrage sur Arte. J'ai toute suite aperçu un sympathique titre "Le Monde en soi". Un joli dessin à l'aquarelle en miniature, me présage un bon film à venir.


Eh bien on est en plein dedans !


J'avais quand même mes réserves avec ce genres de films, qui parfois en font trop, pas assez ou l'exprime juste mal et très mal avec le support artistique cinématographique.


Le court-métrage permet de mettre en animation de petits concepts, qui seraient rébarbatifs ou peu aisées à exploiter, sur un moyen ou long métrage.


Par la limitation du temps, tout nous amène à faire vite, à exprimer le plus clairement et le plus simplement. Jouer avec la contrainte du court métrage, s'il est bien fait, permet de nombreux exercices cinématographiques audacieux.


Il se peut que certaines productions ont une idée trop floue, mal exprimée ou alors veulent apporter une morale précise ou encore trop justifier chaque élément, qui peut juste gâcher le plaisir esthétique du film.


Je me permet de faire une parenthèse, sur l'appréciation esthétique du cinéma, comme c'est plus ou moins le sujet et vous conter ce qui m'est récemment arrivé.


J'ai récemment eu mon frère, qui me parlait de Taxi Driver. Ce qui m'avait surpris dans sa manière de voir le film, c'est qu'il faisait très souvent des pauses et s’arrêtait sur nombres d'éléments du film, aller faire des recherches en ligne etc. Ce qu'il avait déjà fait pour Délivrance auparavant.


Il me disait à peu près en ses termes "Cet élément là par exemple, pourquoi il est là ? J'ai cherché partout pourquoi le réalisateur dit ça ou met ça, il n'y a aucun élément de réponse." etc.


Il regardait certains films, si j'ai bien compris, comme pour justifier chaque chose qu'il voyait et donc, ne regardait un film que comme des éléments de réponses, de morales, un gloubi-boulga de réponses à ses enquêtes.


Et il me disait, ou alors l'ai je compris ainsi, qu'il avait pas trop apprécier le film car cet élément là n'avait pas trop de sens etc.


Et cela m'avait particulièrement interloqué. Car si un film devait justifier chaque éléments de son film, on ne regarderait plus un film, on serait ce mec qui analyse chaque mot dans un livre.


Et donc, nous ne sommes plus dans l'appréciation esthétique d'un film, dans sa poésie, dans son défilement d'images, l'appréciation globale qui passe et l’émotion qu'il veut véhiculer etc...


Imaginez vous faire cela dans Koyaanisqatsi, l'horreur...


Cette pensée me rendait particulièrement triste. Avons nous si mal compris l'Art et tendons nous à devenir de plus en plus des misomuses ? À d'avantage aussi prendre l'art cinématographique comme un bête et méchant produit marchand de l'idéologie du spectacle ? Je vous épargne les nombreuses autres questions qui m'ont un peu mis des idées noires.


Je repensais à cette phrase de Julien Gracq dans Noeuds de vie ;


"La pensée tue tout ce qu'elle touche : quoi d'étonnant que le roman meure, à son tour."


Certes Gracq parlait de littérature. Mais j'ai trouvé que cette phrase résonnée énormément avec beaucoup d'autres formes d'appréciations artistiques. Faut-il sur-penser, faire de la morale à chaque fois une sculpture pour l'apprécier par exemple ?


En d'autres termes, Milan Kundera l'exprimait fort bien dans son ouvrage L'art Du Roman je cite:


Ne pas avoir de sens pour l’art, ce n’est pas grave. On peut ne pas lire Proust, ne pas écouter Schubert, et vivre en paix. Mais le misomuse ne vit pas en paix. Il se sent humilié par l’existence d’une chose qui le dépasse et il la hait. Il existe une misomusie populaire comme il y a un antisémitisme populaire. Les régimes fascistes et communistes savaient en profiter quand ils donnaient la chasse à l’art moderne. Mais il y a la misomusie intellectuelle, sophistiquée: elle se venge sur l’art en l’assujettissant à un but situé au-delà de l’esthétique. La doctrine de l’art engagé: l’art comme moyen d’une politique. Les théoriciens pour qui une oeuvre d’art n’est qu’un prétexte pour l’exercice d’une méthode (psychanalytique, sémiologique, sociologique, etc.). La misomusie démocratique: le marché en tant que juge suprême de la valeur esthétique.
(L’Art du roman, p. 168)


Mon frère serait-il un misomuse ? Ne sortons pas les mots fâcheux, mais disons que j'ai plusieurs fois repensé à cela, lorsque je me posais de nombreuses questions sur l'Art...


Mais, revenons à notre film, voulez vous ?


Ici le film, pour le plus grand bonheur des cinéphiles et des artistes, est un pur film à sensations. Et ça, c'est génial. Pas de morale, pas d'éléments inutiles ou contraires qui freine le film, tout va à son but initial, pour le plaisir du cinéphile !


Autant l'histoire, je m'en cogne un peu. Il sert principalement de support pour apprécier le reste. Que ça soit une femme ou un homme, la portée universelle de l’œuvre est juste remarquable. C'est votre veine artistique qui bat au cœur du film.


Moi homme ne peut m'empêcher de vibrer d'empathie pour ce que traverse la peintre du film. Il y a quelque éléments féminins et un peu féministe dans les décors et l’intimité du personnage principal, mais tout cela reste secondaire et n'entrave pas le geste artistique du personnage principal. Cela renforce simplement l'atmosphère du film, l'immersion dans l’intimité du personnage.


On est purement et simplement dans un film d'animation et de sensations pures. Comment ne pas être ébahi par tant d'idées, de sensations mis en dessins et d'audaces, de jeux de couleurs, de juxtapositions des visages, des formes, c'est un réel plaisir !


Cela se justifie par le fait que ça soit une jeune peintre qui prépare sa première exposition. Le stresse, l'attente, la recherche artistique, l'horreur de la feuille blanche, les impératifs, les délais... Toutes ces idées sont parfaitement exploitées, par moments dans un pur chaos progressif de lumières, de formes, de dessins, de gestes...


La folie artistique qu'entraîne ce plaisir et cette réception mentale et esthétique du dessin, de la peinture, des maisons, du métro qui défile, de la foule qui bouge jusqu'à l'épuisement complet ! On le prend vraiment dans la tronche, et ça c'est l'pied !


En plus on a droit à quelques morceaux mêlant l'inspiration d'un Pascal Comelade pour le côté minimaliste de ses pianos aux sons clairs ou encore de Philip Glass ou de Steve Reich pour la répétitivité jouissive de certaines notes.


Le film est encore disponible pendant deux mois sur Arte au moment où je poste cette critique. Si vous avez moins de vingt minutes, foncez !

diggdinchnord
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 10 janv. 2022

Critique lue 411 fois

6 j'aime

4 commentaires

diggdinchnord

Écrit par

Critique lue 411 fois

6
4

Du même critique

Visionology
diggdinchnord
6

Multi-fictions derrière les samples

Comment parler, même, ne serait-ce qu'évoquer l'album d'un très cher ami ? Sans tomber dans une certaine subjectivité..? Je ne sais pas vraiment. Premier album de Tom Val "Visionology". Un album...

le 31 oct. 2019

5 j'aime

2

La Panthère des neiges
diggdinchnord
7

Animals Are Watching You

Je dois bien le confesser, j'ai aucune connaissance en documentaire animalier et d'avantage sur le monde animalier. Moi-même vivant à la campagne, j'ai étais sidéré par le spectacle naturel de ce...

le 17 janv. 2022

4 j'aime

2

Jeu de société
diggdinchnord
1

C'est ça le 58ème meilleur court-métrage ?

Franchement, j'ai voulu laissé une seconde chance. C'est raté. Je suis désolé, mais il y a encore tout ce que je reproche à cette production. Je vais passer un peu outre le fait que la maison qui se...

le 4 juin 2020

2 j'aime