L'on peut appréhender le Miroir, oeuvre autobiographique, à la lumière des réflexions d'Annie Ernaux, dont l'oeuvre littéraire est elle-même essentiellement autobiographique

"Écrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous, mais que l'on éprouve de façon individuelle "

L'on évite ainsi l'écueil du miroir Sartien, de nous renvoyer une image absurde, inhumaine et irréelle, de soi. Le Miroir de Tarkovski est, en cela, plus puissant que le miroir de votre salle de bain, il renvoie, non pas une image de soi-même, mais, à soi-même, c'est-à-dire un miroir qui ne reflète pas froidement l'inexistante réalité des choses, la chose en soi, mais plutôt la perception individuelle de cette réalité, votre monde impénétrable, unique et glorieusement éphémère.

La propédeutique étant posée j'aimerais que ma critique soit à l'image du film, esthétique et transcendante (mais bon...). En effet le miroir est certainement le film de Tarkovski qui contient la moins grande charge métaphysique (autrement dit le moins masturbatoire), tout en y gagnant, paradoxalement, en hauteur et en puissance, un film qui transcende la métaphysique en quelque sorte, un film qui se regarde avec le coeur et non pas avec la tête, un film qui ne s'explique pas, mais se ressent, un film enfantin, poétique, beau, terriblement, purement, gravement esthétique.

L'oeuvre se constitue de fragments de souvenirs disparates plongés dans une atmosphère humide, sombre, collante, une sorte de rêve profond, magnétique et envoutant... Ou se mélangent et s'entremêlent les éléments (eau, terre, feu, vent...), comme s'embrassent et s'entrecroisent les images d'archives, les poèmes paternels et les plans magistraux, dans une symphonie visuelle qui n'a d'égale que celles, de Bach, qui l'accompagne magistralement.

L'essentiel d'un film c'est peut-être ce qu'il en reste, une fois qu'on la visionné, alors que reste t'il du Miroir ?

Des images, des scènes, différentes pour chacun, qui se sont ancrées, à votre insu, qui ont imprégnées votre rétine et votre âme, ces images, presque des sensations, vous reviennent alors des semaines, des mois plus tard, elles vous hantent sans prévenir, vous surprennent avec des charmes renouvelés et vous intiment un nouveau plongeon plus profond, plus personnel, plus déchirant dans un chef d'oeuvres qui me semble encore aujourd'hui sans fond.

Le mot de la fin, je le laisse à Tarkovski lui-même:

"C’est avec Le Miroir que j’ai commencé à comprendre que faire un film, à condition de prendre son métier au sérieux, n’est pas juste une étape dans une carrière, mais un acte qui détermine tout un destin."
lycophron
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le 18 févr. 2013

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lycophron

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