Un américain sûr de lui, violent, grossier, pédant. Un français, frêle, cultivé, fin. Leurs caractères se retrouvent dans leur physique. Soumission physique, soumission morale. L’américain le méprise en effet, lui donne un ordre, celui de rester dans la salle de projection, ne daignant même pas lui accorder un regard alors qu’il loue ses services d’écrivain. Il le méprise avant même de l’avoir acheté : l’Amérique a-t-elle besoin de payer pour mépriser ? N’est-elle pas la libératrice, la conquérante ?

Ensuite, c’est la voiture. C’est là qu’il la perd. Cette brute d’Américain tente de la séduire, grotesque dans son cabriolet à la couleur criarde… devant son mari… elle proteste, en appelle à son mari… « oui oui, vas-y ». Ne pas s’opposer, c’était affirmer son infériorité, sa soumission, mais aussi le peu de cas qu’il semblait faire de sa femme. Mais surtout sa soumission. Il faut voir la manière dont elle le regarde, mise en valeur par ce mouvement de caméra latéral. Le mépris dont fait preuve l’américain est total : il ne lui indique même pas l’adresse du rendez-vous, et emmène sa femme…

Même, plus tard, quand le français parle de son domaine de compétence, il est méprisé ! Pendant même qu’il parle, le cadre se déplace sur l’américain, jusqu’alors sur la droite, afin de se centrer sur lui ; l’écrivain sort du cadre, cédant la place à ce pédant qui, sortant un vieux papier de sa poche, se met à déclamer des citations comme le ferait un lycéen se moquant d’auteurs qu’il étudie en classe.

A partir de l’évènement de la voiture, elle le méprise. Mais lui semble trop sûr de sa possession… jusque dans l’aménagement de son appartement. Il semble ignorer sa beauté, comme trop habitué, au profit des statues féminines, exposées aux endroits clés des pièces.
De même, l’instrument de la femme, quel est-il ? Son miroir. Et celui de l’appartement traîne par terre, la forçant à s’abaisser pour se regarder… dans cet aménagement de l’appartement, la priorité donnée à l’installation des statues sur celle des outils quotidiens des femmes bien réelles, on voit l’idée qu’il se fait d’elle : plus besoin de la reconquérir… possession éternelle. Au contraire, il semble plus courageux dans la conquête du nouveau, téméraire même dans ses « avances » à l’interprète.

S’apercevant de l’étrangeté de son comportement, il la questionne. Elle le trouve changé. En abandonnant l’écriture classique (de romans ? Je ne sais plus) pour le cinéma, il a gagné en richesse ce qu’il a perdu en liberté.

A travers les tentatives de discussions sérieuses, philosophiques, artistiques, on croit percevoir le caractère limité des relations de couple, car ces tentatives avortent, au profit de discussions plus pratiques, sur leur couple. Il n’y a pas de dialectique possible dans le couple, pas d’élévation culturelle par l’influence de l’autre. Que de la banalité. Le reste, c’est pour les relations d’amitié, du même au même, pas d’un sexe à l’autre, et encore moins dans un couple.

Elle finit par lui avouer son mépris pour lui.

Sur le tournage, il a l’occasion de se rattraper. Le producteur américain invite sa femme chez lui. Même protestation de la femme, cri de détresse. Même réaction servile du mari : il accepte, ou plutôt , ne s’oppose pas.

D’un point de vue artistique, le producteur vit dans l’air de son temps : il veut faire du personnage d’Ulysse un névrosé : si Ulysse met tant de temps à revenir, c’est qu’il n’en avait pas envie, qu’il fuit sa femme, qui aurait à lui reprocher son comportement inconvenant d’avant son départ. Ici, inversion des rôles entre les époux. Ulysse, méprisé par Pénélope, n’aurait trouvé comme moyen de la reconquérir que le meurtre de tous ses prétendants.

La fille Camille finit par succomber aux avances de l’américain. Quand il arrive au domicile du producteur parle sans faire attention à lui. Ce dernier, avec Camille, la fille, sont en train de discuter sur un canapé : il s’assied entre eux, arrivant hors champ, ce qui donne à son action le côté brutal du révolté, du passif poussé à bout, du pacifiste qui dans la violence, réagit trop tard et trop fort. En effet, c’est pour revenir sur sa parole de travailler sur le film qu’il agit ainsi.
Plus tard, Camille est assise sur le même canapé que l’interprète et le producteur, assis sur le dossier, surélevé par rapport à ses « conquêtes ». Quand il s’en va, tous s’en vont. : ayant agi trop tard, le français rate son occasion de regagner son estime.

Dans le dernier entretien qu’ils ont, il lui dit qu’il croit la voir pour la première fois. C’est la première fois qu’elle ne lui est pas acquise.
Elle, lui dit qu’il n’est pas un homme. Il a tout compris.
Mais elle s’en va par la mer ; cette fois, c’est Pénélope qui fuit, mais ne reviendra pas.

Chatov
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le 29 nov. 2019

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