[Je vous déconseille de lire cette critique si vous n’avez pas vu le film, je tiens également à prévenir que le style est moins travaillé que d’habitude je voulais principalement partager ma vision de ce film qui je pense est souvent incompris.]


Il semble être à la mode actuellement de critiquer la nouvelle vague, ce qui est je trouve assez dommage, la nouvelle vague est une période qui a fait rayonner le cinéma français à l’internationale, c’est avant tout un cinéma d’auteur. Mais surtout ce qui généralement dérange c’est que ce sont des films qui brisent les codes, or le cinéma actuel est assez codifié, cette différence que crée la nouvelle vague à alors tendance à déconcerter ceux qui s’y essayent.


Mais il est important de persévérer, des œuvres comme le mépris ont énormément à nous apprendre sur le cinéma mais aussi sur l’Homme et le monde dans lequel il vit/vivait.


Le film s’ouvre sur une scène devenue mythique où toutes les parties du corps de Brigitte Bardot sont passées en revue, une célébration du corps de la femme qui permet de peindre l’harmonie dans ce couple avant la rupture. La scène est remarquable dans sa mise en scène avec différents filtres qui apparaissent successivement devant la caméra, superposition des multiples visions de l’auteur, les couleurs ont une grande importance dans le cinéma de Godard, dans la nouvelle vague le cinéaste est souvent peintre, les teintes choisies ont alors une valeur et une symbolique, elles expriment un état d’esprit, des sentiments…


La musique de Georges Delerue est souvent critiquée pas pour ce qu’elle est mais pour son utilisation, elle est très présente et à tendance à masquer les dialogues, ce pour quoi nombreux critiquent les prises de son de Godard et son montage sonore mais il faut comprendre que le film traite des difficultés à communiquer, la musique n’empêche pas les personnages de s’exprimer elle reflète leur impossibilité à échanger. La même chose nous est montrée lors de la scène de la projection, les personnages y parlent Français, Allemand et Anglais, une citation en italien est écrite sur le mur, la pièce devient une tour de Babel où le producteur (Anglais), le scénariste (Français) et le réalisateur (Allemand) ne peuvent discuter sans avoir recours à un traducteur. A noter que seul Fritz Lang parle les trois langues, cet élément renforce sa supériorité sur les autres personnages, il est montré comme le créateur suprême, il voit à travers son monocle le monde de manière lucide, son génie lui permettra de traverser les âges en brisant la barrière du langage. Son personnage fait alors écho au légendaire poète grec dont il est question dans le film, le créateur de l’Odyssée, Homère.
Pour en revenir à la musique, elle symbolise l’état d’esprit des personnages, leur mélancolie, leurs doutes… Je vous joins une citation trouvée dans le documentaire « Il était une fois… le mépris ».



En déclinant ce thème romantique de manière répétitive, obsédante et désespérée, Jean-Luc Godard en a fait un mythe.



Bon maintenant rentrons dans le vif du sujet, le message du film, son intérêt. C’est souvent ce point qui pousse les gens à ne pas apprécier la nouvelle vague.


Nombreux sont ceux qui donnent pour raison du mépris de Bardot, son mari qui a voulu la pousser dans les bras du producteur, et c’est peut-être une des raisons mais n’est-ce pas un peu trop simple et presque incohérent avec la conduite du personnage.


Personnellement, je pense que le mépris de Bardot envers son mari vient de l’incapacité de ce dernier à faire passer sa morale avant sa condition. Il faut se rappeler que le producteur demande à Paul de réécrire le scénario d’une interprétation de l’Odyssée par Fritz Lang, la version de Lang étant jugée trop profonde, trop élitiste. Pour simplifier, le producteur demande à Paul de détruire la version de Lang pour l’adapter à un public qu’il juge comme n’étant pas assez intelligent.


Il est alors intéressant d’observer l’attirance de Camille pour Lang, lors de leur première rencontre elle dira d’ailleurs beaucoup aimé ses films.


La proximité entre Camille et Lang s’illustre à plusieurs moments. D’abord dans leur appartement à Rome, Paul questionne Camille sur son changement brutal de caractère, elle lui cite alors un passage du livre de Lang qu’elle est en train de lire, ne lui envoie-t-elle pas un signe à ce moment ? Un peu plus tard lors du passage avec la chanteuse alors que le couple est séparé, elle ira se mettre au côté de Lang.


Une autre raison vient de l’idée du producteur ? il voit en Ulysse un personnage fou amoureux de sa femme mais celle-ci ne l’aime plus. Il ne faut alors pas oublier que le film utilise très souvent la mise en abyme, Camille en méprisant son mari ne chercherait elle pas à lui faire prendre conscience de l’inintérêt de ce type de scénario. Il faut y voir une autre mise en abyme mais cette fois ci celui qui est visé ne serait pas seulement le spectateur mais également le personnage de Paul, en se comportant comme cela Camille essaye de lui prouver le peu d’intérêt qu’il y a à mettre en scène ce type de récit. Car quel est le projet du producteur c’est de réaliser un film qui raconte la même histoire que le Mépris en y enlevant les mises en abyme, les messages sur le cinéma, le magnétisme de Bardot et le travail de l’esthétique or Le Mépris dénué de ces éléments serait un film bien fade et sans grand intérêt.


A la fin du film Paul n’a pas compris ce qu’elle voulait lui dire, c’est pour cela qu’elle s’en va, toutes ses actions avec le producteur ont pour but de pousser Paul à le détester et ainsi renoncer à participer au projet. Mais elle ne veut pas qu’il abandonne pour elle, elle souhaite le voir quitter cette production pour lui, pour qu’il préserve ses valeurs. Elle cherche à lui provoquer un déclic. Il est important de remarquer que sa lettre d’adieu sonne comme un pardon, elle a retiré les balles du révolver, ce qui indique qu’elle ne souhaite pas la mort de son mari et qu’elle l’encourage à poursuivre sa vie, c’est ici la dernière marque de son affection passée. Il est encore une fois intéressant de comparer deux passages du film, la dernière apparition de Camille à Capri, s’éloignant dans l’eau, peut faire penser au passage de la sirène dans l’Odyssée de Lang.


La conclusion est assez ambigüe, il me semble assez évident que Godard encourage le personnage de Bardot et l’on sait qu’il appréciait l’actrice, Jean Cocteau disait d’elle « Elle est l’âme de notre époque », le réalisateur de la nouvelle vague cherche à montrer le monde qui l’entoure. Camille est une femme libre et sensuelle qui apprécie les grands auteurs (tel Fritz Lang). Et pourtant après la mort du producteur et de cette dernière, le film continu dirigé pleinement par la vision du réalisateur (dont l’assistant est joué par Godard lui-même, encore un parallèle intéressant), à côté Paul a pris la décision de se remettre à l’écriture de pièces de théâtre, il renoue avec sa vraie nature et laisse enfin s’exprimer ses ambitions. Là où la fin est assez paradoxale c’est bien sûr dans la mort de Bardot qui permet à Paul d’avancer, chose qui semble d’autant plus incohérente que plusieurs fois dans le film, on entend cette réplique de Fritz Lang qui dit « La mort n’est pas une solution ». Ici elle semble en être une, cet élément vient symboliser la rupture dans le cinéma de cette époque une rupture qui s’accorde avec les années difficiles que traversait Hollywood.


Le film traite de la mort du cinéma, dans ce film il continue encore un peu de vivre à travers Fritz Lang qui parvient à réaliser son film, cette dernière étincelle de vie, c’est un écho certain à la nouvelle vague, un mouvement qui a lutté pour que le cinéma demeure un art.


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le 16 sept. 2018

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