Moi aussi les cinéphiles me tapent sur les nerfs

Quand un artiste réalise une œuvre sur n'importe quel type de création artistique il s'agit souvent d'un discours voilé sur son propre média de prédilection. Ici, il me parait assez clair qu'à travers la cuisine Mark Mylod nous parle de la création en général mais du cinéma en particulier.

Dans Le menu le chef Julian Slowik piège un groupe de personnages adeptes de bonne cuisine pour les tourmenter le temps d'un repas. Chacun d'entre eux a suscité sa colère en ne sachant pas apprécier son œuvre, ou en l'appréciant mal.

De ce point de vu Le menu est un film sur la colère que peu ressentir un créateur envers une partie de son audience et je vais continuer cette critique en postulant que Mylod parle en particulier des publics de cinéma et que Le menu est donc une critique assez acide de différent type de publics de cinéma jugés déplaisants.

En cela Le menu m'a particulièrement touché car il contient une critique d'un type de consommateur de films qui m'agace également particulièrement : le cinéphile. Vous savez bien, celui qui une fois sorti de la salle nous inonde de données techniques sur l'art du cinéma. Celui qui saura comparer ce film à une dizaine d'autres par leurs ressemblances formelles ou l'utilisation de telle ou telle technique issue du cinéma italien des années 50.

Ce type de public est représenté par Tyler, joué par Nicholas Hoult, un gastronome passionné et éclairé. Tyler connait une quantité incroyable de faits sur la cuisine, de la conception à la dégustation. Il est capable de reconnaitre et distinguer des saveurs subtiles dont le quidam ignore jusqu'à l'existence. C'est d'ailleurs à ce jeu de l'analyse gustative que Tyler se livre à chaque plat. Pour lui finalement la cuisine ne se goûte et ne se sent pas autant qu'elle s'analyse. Mais son analyse ne résulte généralement même pas en une compréhension globale du plat qu'il déguste, mais d'une énumération de faits sans ligne conductrice. Exemple : Tyler reconnait la bergamote et en est fier. Et quand bien même Tyler n'est pas un simple morfal - sa voracité ne concerne pas tout type de nourriture mais la bonne nourriture, c'est à dire, pour lui la nourriture sophistiquée - ce que montre le film en le comparant au personnage de Margot -jouée par Anya Taylor Joy - c'est que manger sophistiqué n'en fait pas pour autant un mangeur sophistiqué. Margot a des gouts plus simples mais sait d'avantage apprécier ce qu'elle consomme. Un cinéphile qui regarde 50 films virtuoses sans rien en tirer d'autres que de froides analyses n'a pas eu une meilleur expérience artistique qu'un béotien ayant su savourer un simple bon film.

C'est pour, et par, cet aspect de sa personnalité que le chef Julian Slowik punit Tyler. Comme il le lui dit "c'est à cause des gens comme toi que notre art a perdu tout son mystère", et comme il le lui en fait faire l'expérience en le forçant à cuisiner, montrant ainsi que la somme de connaissances pointues de Tyler ne fait de lui ni un bon public, ni un bon cuisinier. Comme écrivait Tolkien à travers Gandalf "He that breaks a thing to find out what it is has left the path of wisdom." (celui qui brise quelque chose pour savoir ce qu'elle est est sorti du chemin de la sagesse). Décomposer une expérience artistique en une énumération froide de faits ne permet pas de mieux la comprendre mais au contraire ferme tout à fait la porte à son appréciation qui se trouve en premier lieu dans le domaine du sensible.

Bien sûr le film critique d'autres types de publics : la critique professionnelle pour qui donner son jugement n'est qu'un moyen de s'écouter parler, ou le propriétaire du restaurant qui voulait contrôler le menu, parallèle assez facile du producteur au cinéma. Et bien sûr, enfin, le cuisinier lui-même, dont la quête sans fin de virtuosité technique et d'originalité a conduit a ne plus même songer à faire de la cuisine que les gens aimeront.

De ce point de vu Le menu se détache par l'originalité de son propos et ne nous propose pas une énième critique un peu niaise qui opposerait les "méchants autres" au "gentil public" dont, ne vous inquiétez pas, vous faites partie : "vous êtes dans le bon camps des gentils gens sympas :)". Le menu a le cran de dire à son public "t'es vraiment relou" et c'est cool.

Orphu
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le 23 janv. 2023

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