Il y a incontestablement dans Le Magicien d'Oz une mièvrerie et une bonne humeur qui confinent au kitsch. Pour autant, ce film de 1939 offre des grilles de lecture multiples et apparaît comme une matrice déterminante du cinéma hollywoodien qui ne cessera d'y faire référence. Comme le rappellent B. Benoliel et J.B. Thoret dans leur livre Road Movie, USA, le nombre de réalisateurs dont seul Fleming est crédité (mais ont participé également : King Vidor, George Cukor et Richard Thorpe) et de scénaristes servent bien entendu la polysémie qui autorise les interprétations les plus variées, élevant ainsi le film au statut de mythe, quoi qu'on pense par ailleurs de sa qualité intrinsèque.

Le cadre initial en noir et blanc évoque naturellement la grande dépression des années 1930 et annonce, un an avant, Les raisins de la colère de Ford, par cette famille de paysans du Kansas attelée à sa tâche prosaïque dont la nécessité s'oppose à l'imaginaire de Dorothy, en manque d'évasion. La méchanceté à l'origine de la fuite de Dorothy n'est pas sans évoquer celle qui poussera la famille Joad à fuir son Oklahoma. Bien entendu, dans Le Magicien d'Oz, la portée politique est dissimulée dans l'argument enfantin, il y a néanmoins la présence de la Loi que brandit Ms Gulsh pour éliminer le pauvre Toto, et, « nous ne pouvons nous opposer à la loi ». Et c'est là que le bon sens américain, chrétien et populaire, tel qu'on le retrouvera chez Capra trouve la réplique en la voix de la Tante Em : « Posséder la moitié du pays ne vous donne pas tous les droits. Voilà vingt-trois ans que je voulais vous dire ce que je pense de vous, et là, être chrétienne m'interdit de le faire ! » Comment ne pas faire le parallèle avec le film de Ford. Et encore, le départ de Dorothy, pour protéger son chien, évoque la fuite des enfants dans Wild Boys on the Road de Wellman. C'est dans ce même cadre populaire et ce même contexte social que Le Magicien d'Oz trouve naissance.

Puis c'est l'évasion vers Oz, répondant à l'appel de Dorothy, d'aller voir « Over the Rainbow. » Oz, envers du réel où les personnages se correspondent, univers en couleur où, immédiatement, l'artifice est à l'œuvre. Onirisme qui ne cherche pas à se vouloir autre, à passer pour ce qu'il n'est pas. C'est cet artifice qui est l'éthique du film. Et la conclusion où le Magicien s'avère être un charlatan n'est un désenchantement que pour ceux qui ne se satisfont pas du réel. Dès le départ nous savions la fuite vaine, vaine parce que non désirée. En effet, lorsque Dorothy part pour Oz, elle a déjà accompli le trajet retour, dont le motif était mensonger : la pseudo-vision d'un charlatan – qui sera le Magicien dans le pays d'Oz – qui a trop hâte de renvoyer Dorothy chez elle pour ne pas avoir à lui avouer qu'il ne connaît aucun prince d'Europe, c'est-à-dire d'horizon accueillant pour Dorothy, comme le prétend la réclame sur sa carriole. Mais il fallait aller au bout de cette illusion pour en découvrir la vanité et dire enfin : « There is no place like home. »

C'est ainsi que Le Magicien d'Oz porte en lui les aspirations contradictoires de l'Amérique que sont le foyer et la route ; c'est ainsi que conjuguant les deux mythes, Le Magicien d'Oz à la fois assoie sa pérennité et établit sa postérité ou sa résurgence. Dans le film, initialement en spirale, la route finit par se poursuivre en ligne droite. Comme le remarquent encore les auteurs de Road Movie, USA, la double nature de la route dans Le Magicien d'Oz sera, à proprement parler, la double nature du Road Movie. Ou bien, la route est un enfoncement en soi, une manière de se découvrir au cours d'un voyage alors initiatique ou bien un parcours fait de péripéties et de rencontres et permet de prendre la mesure d'un peuple ou d'un territoire. Le Magicien d'Oz en puissance contient les deux aspects, le peuple étant réduit à une symbolique à travers l'Homme de fer, l'Epouvantail et le Lion, dont le voyage ne fait que mettre à jour des qualités qu'il avait déjà, à savoir, le cœur, l'esprit et le courage, attributs essentiels du peuple américain tel que l'Amérique se le figure et que l'époque avait à cœur de rappeler. Quant à Dorothy et à chacun de ses trois amis de découvrir que ce qu'ils cherchaient tant était déjà en leur possession, le voyage n'en permettant que la découverte. Ainsi le Magicien ne fait que leur donner une reconnaissance. Et le film enregistre cela, sans doute, malgré l'agacement qu'il peut susciter, il est le chant d'un peuple en soif de reconnaissance.
reno
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le 12 mars 2012

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