De l'importance du cadre et de la référence cinéphilique

Le cinéphile a toujours eu ce réflexe pavlovien de rapprocher ses réalisateurs favoris par thématiques communes abordées ou familles d'appartenances artistiques. Il n'est pas incongru de considérer John Landis et Joe Dante (tout comme Tim Burton et Guillermo Del Toro **plus tard) comme frères d'armes responsables dès les années 70 d'une brèche dans un cinéma moderne en usant des racines classiques du vieil Hollywood. L'horreur, le musical et le film noir, solubles dans la comédie pour une approche plus contemporaine, deviennent pops et déconstructifs tout en élevant le taux de sexualité des amants aux chairs devenues apparentes. Le loup garou de Londres soutient la thèse du nouveau genre respectueux de ses aînés mais s'affirme aussi en s'appuyant sur des vignettes peuplant le film de courants cinématographiques divers et variés. Entre alors en compte, l'idée d'un tribut au cinéma plus encore que la démonstration de force technique des maquillages de l'hybridation entre l'homme et le loup et ce malgré la participation du magicien **Rick Baker. Si l'on devait comparer le film de Landis à son frère de sang (et de poils), Hurlements, le premier a beaucoup moins cette capacité de synthèse à cerner ce qui fait l'essence mythologique de sa créature. Dante s'affirme de manière plus crue en étayant son propos sur la bestialité en projetant un semi porno-semi snuff sur les lieux de la rencontre entre une journaliste (Dee Wallace) et un inconnu ainsi qu'en détaillant au fil de l'eau les us et coutumes d'une race consanguine au sein d'une secte. Une frontalité écartée par Landis plus à même de soutenir le romantisme de son monstre plutôt que sa laideur intérieure. La légèreté venant volontairement émoussée le fatalisme rendant l'objet plus fascinant encore. Affirmons-le, même si les objectifs des deux oeuvres diffèrent, le film de Dante séduit davantage et s'attache peut être plus à marquer son spectateur dans le culte du rite païen bouleversant cette bonne vieille morale judéo-chrétienne. La réputation de Landis comme cinéaste besogneux, ce que d'autres appelleront "branleur" n'est aucunement usurpée. La nonchalance habite bien le projet jusque dans les tréfonds de sa conception. Mais alors qu'est-ce qui fait que l'auteur des Blues Brothers est responsable de pas moins d'une demi-douzaine de classiques ? Chez **Landis, **le cinéma est un refuge. Cette érudition ne noie jamais l'orientation fantastique du* Loup Garou de Londres*. Mieux, elle pilote une seconde lecture pour les cinéphiles dont le langage quasi codé sert la narration.


Cette connivence entre le réalisateur et le spectateur n'est jamais le geste gratuit d'un artiste onaniste. Lors de leur road trip dans la Lande, *Jack *(Griffin Dunne) et David (David Naughton) s'arrêtent dans un pub. Un lieu de consommation en total autarcie avec l'hostilité rurale des alentours. Les villageois ont tôt fait d'assimiler leur position à celle de** John Wayne** dans* Alamo* soit la vie préservée en intérieur versus la mort en dehors des murs. Une référence qui aurait pu s'appliquer au Rio Bravo de Hawks mais aussi de manière plus confidentielle aux westerns de série B dirigés par des artisans comme Roy Huggins, Ray Enright, Jessie Hibbs et bien d'autres... À cet instant, les intentions de Landis sont égales à celles de Romero pour *La Nuit des Morts vivants *ainsi que le Assaut de Carpenter qui useront à leur tour du Huis-clos comme élément de survie. Lorsque les motifs du western servent le fantastique moderne. Plus discrète, l'affiche de Casablanca, de** Michael Curtiz** disposée dans le salon d*'Alex* (Jenny Agutter) est annonciatrice d'un destin maudit pour l'infirmière et David Kessler dans la grande tradition du couple Hollywoodien brisé. Humphrey Bogart et** Ingrid Bergman** modèles de romantisme sont les ancêtres affichés-là comme une noblesse revendiquée mais aussi comme un pur élément visuel indicateur de l'orientation tragique de l'histoire. Alamo, Casablanca et plus tard Wolfman de George Waggner **avec **Lon Chaney jr -référence partagée sur la couche par Alex et David- atteste de l'authenticité du Loup Garou de Londres et s'inscrit dans une réalité qui est celle du spectateur. Impression confirmée par le plan flouté de l'affiche montrant Gena Rowlands dans le Gloria de Cassavetes au détour d'une rue et sorti en ...1980 date à laquelle se déroule le film de **Landis. **Pour varier sa palette de références, le réalisateur d'*Un fauteuil pour deux *shootera un comic book de *Laurel et Hardy *qui fera écho au couple de flics mal assortis enquêtant sur les meurtres londoniens. Le slapstick restant un genre majeur dans le Hollywood des années trente.


On aura beau s'émouvoir et être fasciné par l'approche mythologique, _Werewolf in London **_est un film de Cinéma causant avant tout de... Cinéma, le tout dans ses travers les plus coquins puisque l'enveloppe se drappe également des bandes d'exploitations si prisées par le réalisateur. Le "Dirty Movie" a lui aussi son mot à dire. Lorsque *David *et le cadavre en décomposition de Jack se retrouvent dans un cinéma pornographique d'un quartier de Londres, la caméra s'attarde plus que de raison sur le boogie Night projeté. -Un souhait formulé tout bas par le spectateur et entendu par le réalisateur- Le film intitulé "See you next Wednesday" (marque de fabrique de Landis** sur l'ensemble de sa filmo) évoquera une synthèse assez représentative de la production d'époque avec des acteurs ventrus et moustachus accompagnés de morceaux synthétiques composés sur l'orgue Bontempi du coin. On peut y déceler un semblant d'intrigue vaudevillesque mettant en valeur quelques répliques fugaces et hilarantes rapidement évincées par des ébats aux gémissements outranciers. Pour un complément d'informations, on retrouvera l'affiche du film prônant l'amour à plusieurs lors des premiers meurtres du Loup Garou dans le métro. Un parcours fléché pour les accrocs du cadre et les maniaques de l'arrière plan. Une manière pour un John Landis malicieux de constituer un fil conducteur où chaque perle serait enfilé par un courant cinématographique singulier. Tout aussi singulière, la démarche d'aborder la Nazisploitation lors d'une scène d'onirisme aura permis de greffer l'antinomie absolue de ce film soit la noblesse esthétique du Hollywood de l'âge d'or juxtaposée aux délicieuses bassesses de l'exploitation. Le rêve fiévreux de David alors en pleine incubation du virus lycanthrope vire au dérapage lors du massacre de sa famille de confession juive par une troupe de soldats nazis loups garous assoiffés de sang. Un véritable appel du pied à tout un pan du Cinéma Bis dont le représentant n'est autre qu'*Ilsa La louve, *nymphomane teutone adepte d'experiences louches sur les prisonniers des camps.


Film bancal mais fou, matrice des futurs Tarantino, *Le Loup Garou de Londres *est le film de la foi d'un John Landis en pleine possession de son Art. Un cancre tout au fond de la classe mais un cancre génial dont le côté sale gosse est capable d'associer au sein d'un même film son amour pour Humphrey Bogart au côté d'une porn Star. Le delta parfait entre l'imperméable et le slip Kangourou. Chapeau bas.

Star-Lord09
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le 7 sept. 2022

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