Rompu à l'exercice de la critique, je vais pourtant, ne me demandez pas pourquoi, écrire pour une fois un billet.


Echaudé par plus de 20 ans d’inepties tapageuses sous forme d’auto-caricatures, je n’attendais pas spécialement un nouveau film de Scorsese avec Di Caprio en tête d’affiche, et ma relative indifférence s’est transformé en crainte lorsque je découvris l’avalanche de louanges qui s’abattait sur le film, notamment sur ce site, de la part d’éclaireurs dont je chérissais l’avis.
Et si un mouvement de frénésie générale avait aveuglé ces derniers ? Le phénomène, on le sait, est fréquent. Il me fallait me faire rapidement mon propre avis, d’autant que ce que je lisais de négatif correspondait assez bien à ma grille de lecture personnelle.
Deux constatations et une réflexion vont me permettre de justifier une note que je pensais impossible pour un nouveau film de l’auteur de Taxi Driver.


Quand on parle du loup, on en voit la queue


D’abord, et avant tout, oui, ce film est réellement drôle. Ce n’est quand même pas tous les jours que je peux partager les rires –nombreux- d’une salle archi-comble (pour un film en V.O., c’est beau) car les scènes loufoques, absurdes, grotesques se succèdent, les dialogues incisifs sont omniprésents, l’espèce de réserve doucereuse dans laquelle avait sombré le réalisateur italo-américain depuis deux décennies se volatilisant dès un premier plan présentant Léornardo sniffant une ligne de coke dans le cul d’une prostitué.
Quant au côté moral de tout ça, je me propose de vous en reparler un peu plus bas.


Ensuite, et c’est le second grand bonheur du film, la réalisation de Scorsese parvient à se faire oublier (exit un catastrophe industrielle de type Gangs of New York) dans la mesure où elle colle parfaitement à son sujet, à son rythme, en mettant au service du récit, et non le contraire comme ce fut si souvent le cas pour lui et ses rejetons depuis des années. Le montage, les cadrages, le rythme sont trépidants quand l’excellent scénario de Terrence Winter l’exige, les ellipses sont parfaitement calibrés, les temps forts incessants et à-propos.
Avec ce personnage tout en démesure, Martin ressuscité fait entrer un nouveau loup dans le Scorseserie.


Sa Lamborghini, le loup gare ou ?


Venons-en, donc, aux principaux reproches lus ici et là, et que j’aurai pu -que dis-je- que j’aurai dû partager. Le film ne dénoncerait pas suffisamment le héros et l’univers dans lequel il gravite, les conséquences de leurs actes seraient éludées, le film serait une insulte faite à la condition féminine, et pourquoi pas, un éloge de l’usage de substances stupéfiantes.
En gros, le visionnage du film serait une incitation à se précipiter dans la gueule du loup.


En deux mots, permettez-moi de trouver tout ceci relativement sans fondement. Ou en tout cas peu fin.
Le film, dans sa structure et dans son ton, n’est pas sans rappeler le dernier grand film du réalisateur, les Affranchis. Le parallèle est intéressant à plus d’un titre puisqu’il permet de mieux identifier Jordan Belfort comme un malfrat (ce qu’il est) et le rapprocher instinctivement d’un James Conway ou d’un Henry Hill, anti-héros inoubliables du film mafieux de Scorsese. Ainsi, tout film de gangster devrait-il être accompagné d’un sous-titre explicite indiquant que les choses malhonnêtes sont condamnables ? A-t-on besoin de connaître les faits exacts reprochés au personnage halluciné campé par Di Caprio pour comprendre que le bonhomme a tellement dépassé toutes les limites pour ne plus en supporter aucune ? Mieux, la description cynique et impeccable, en début de récit, par un Matthew McCaunaughey décidément impérial, de l’univers dans lequel Jordan va évoluer demande-t-elle de plus amples indications ? (ce n’est pas tant le fait que personne ne maitrise le marché qui est bien sûr révélateur mais la nécessité que les investisseurs ne récupèrent jamais leurs mises). La vente, avec un talent de marchand de tapis ou de voiture, d’actions pourries à des gens déjà totalement démunis mérite-t-elle un surlignage clignotant ?
Au cours du film, un personnage estime que ce qu'est et ce que fait Jordan EST l'Amérique. Difficile d'exprimer critique plus cinglante et lapidaire du capitalisme et des états-unis.


entre chiennes et loups


Reste la glorification du mode de vie outrancier de Belfort. S’il vous prenait l’envie de partager ne serait-ce qu’un week-end de la vie du stock-brocker, vous ne faites pas parti du même univers que moi. Certes je n’ai plus 15 ans depuis un petit moment, mais la perspective de devoir devenir «sexe/drogue/alcool addict» en phase terminale car seule possibilité pour tenir des cadences de 16 heures par jour afin de mieux dépouiller mon prochain pour amasser des montagnes de fric me donnant la possibilité de tromper ma femme 10 fois par jour N’EST PAS un idéal de vie chez moi.
Je comprends l’aspect grisant et fascinant de tout ça, mais je ne désirerais pour rien au monde participer à cette frénésie qui mène à la tombe avec la rapidité d’un accident d’hélicoptère dans une tempête de poudre.
Une philosophie de vie, sans doute.
Sans compter que si le grand cœur du bonhomme est montré (le prêt de 15000 dollars), on n’occulte pas non plus le fait que tu puisses, dans ce genre d’univers, te faire virer en une fraction de seconde pour un petit astiquage d’aquarium malheureux.


Certes, les personnages féminins sont peu valorisés, mais doit-on ne pas filmer une prostituée pour tenter de faire oublier qu’elles existent, ou nier que les self-made-men à la fortune foudroyante savent mieux que les plombiers s’entourer de compagnes aux courbes avantageuses ?


Virtuose, le Wolf gang amasse des houses


Terminons avec l’aspect histoire vraie, qui est à la fois la force et la faiblesse du récit. Si de telles trajectoires n’avaient jamais existé, si de tels agissements n’étaient pas régulièrement rapportés, nous aurions bien du mal à ajouter foi à des comportements qui semblent aussi éloignés de ce que nous vivons ou concevons. Le fait que le véritable Belfort joue le rôle du présentateur dans la scène final peut amener un certain malaise, ajoutant si c’était possible, une nouvelle touche de cynisme à l’ensemble. Le plan conclusif n’est pas si faible ou vain que certains voudront bien le dire. En laissant entendre que tout ne peut que se perpétuer à l’infini dans un système qui domine la planète, ou tout est toujours éternellement récupéré, Scorsese, sans être révolutionnaire, se montre bien plus pessimiste et implacable que n’importe quel discours lénifiant. 2007 est là, mais aussi toutes les autres crises, inévitables, à venir.


Je ne pourrai pas conclure par une de ces petites blagounettes qui sont chez moi, les plus fidèles de mes admirablement gentils lecteurs le savent, une marque de fabrique. De mon époque école primaire, m’en revient une en mémoire, concernant les loups.


Savez-vous ce qu’est un parallélépipède rectangle qui hurle à la mort ?


… Un caramel mooooOOOUUUuuuuuuuuuuuuuu...
Avec Martin cette fois, a l’image des stupéfiants ingurgités en doses titanesques, c’est plutôt du dur.

guyness

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