Il y a quelques éléments à sauver dans le dernier film de Scorsese, à commencer par un Di Caprio qui nous a habitué à l'excellence et se montre, une fois encore, à la hauteur de sa réputation. Celui-ci nous livre une performance plus que satisfaisante, crédible dans son rôle de self made man cupide, froid et calculateur. De l'apprenti encore timoré au rhéteur mégalomane, il parvient, avec brio, à restituer l'évolution du personnage qu'il incarne. De même, la bande son est plutôt bonne, avec des apparitions récurrentes de Cannonball Adderley et de quelques classiques du blues, Scorsese confirmant par là l'excellence de sa culture musicale qu'il avait laissé transparaître dans la série "Scorsese presents the blues". Enfin, les scènes comiques sont globalement réussies. On rit avec un plaisir franc, notamment grâce à des dialogues bien tournés ou à une tripotée d'acteurs au jeu bouffon.

Cependant, et c'est le risque que prend toute oeuvre qui se veut monumentale (le film s'étend sur trois heures !) : le Loup de Wall Street sombre vite dans l'excès le plus gratuit. On désespère devant les interminables scènes de monologue, qui nous présentent un Di Caprio cyril-hanounesque beuglant d'insipides crétineries à une audience en transe ; on s'impatiente devant les scènes de débauche, toujours assourdissantes, toujours rivalisant de bêtise. Il est une banalité du péché comme il est une "banalité du mal" : certes, Scorsese se lâche, mais plus encore voudrions nous, parfois, qu'il nous lâche. Excessif en tous points, le film déborde le spectateur, l'écrase, le submerge.

De fait, l'on retrouvera toujours, à l'arrière plan du Loup de Wall Street, ce petit air de "les Affranchis, en moins bien". A vouloir trop en faire, le film ne dresse pas un portrait convaincant du monde de la finance. Ses personnages sont des types plus que des êtres humains ; ses situations des déformations plus que des figurations. Au fond, Margin Call (pourtant très moyen) restituait avec davantage de vraisemblance les turfistes de la bourse, perdus dans un monde d'abstractions mathématiques qui s'affranchissent de leur contrôle. Ainsi, le spectateur critique ponctuera la fin du Loup de Wall Street d'un "tout ça pour ça" désabusé. Trois heures de film pour nous flanquer d'une morale des plus affligeantes : "on récolte ce que l'on sème". Tout ça pour ça : tout cet argent gagné, tous ces abus, toutes ces escroqueries juridiques, tous ces cris et ces discours pour finir en prison ; tout ça pour ça : un tel déploiement d'énergie cinématographique pour un fantôme, ou, au mieux, une esquisse de grand film.
Lawliet
4
Écrit par

Créée

le 29 déc. 2013

Critique lue 1.4K fois

33 j'aime

3 commentaires

Lawliet

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

33
3

D'autres avis sur Le Loup de Wall Street

Le Loup de Wall Street
Smay
5

Festival mégalobscène

J'allais mettre une note de folie juste après la séance car j'en suis ressorti emballé. Ceci dit j'ai préféré attendre et voir l'évolution de la chose dans mon esprit, à juste titre parce qu'avec du...

Par

le 9 janv. 2014

170 j'aime

Le Loup de Wall Street
hillson
5

Que tu as une grande queue - c’est pour mieux te baiser mon enfant

Un type a dit que 2013 avait apporté des blockbusters de grande qualité, et il a cité Django Unchained et Le loup de Wall Street. Que Le loup de Wall Street soit un blockbuster ne fait aucun doute,...

le 12 janv. 2014

133 j'aime

24

Le Loup de Wall Street
Strangelove
9

"Fuck USA !"

Certains parlaient d'un Martin Scorsese sur le déclin. D'autres disaient qu'il allait se brûler les ailes avec ce sujet si épineux qu'est le monde de la finance. Peut-être qu'il le savait. C'est pour...

le 27 déc. 2013

121 j'aime

21

Du même critique

Time and Place
Lawliet
6

Critique de Time and Place par Lawliet

Unique album du chanteur de soul Lee Moses, qui préférait se produire en live. Le disque laisse transparaître cet aspect de sa personnalité, tant il est vivant et passionné. L'ensemble est sincère,...

le 19 avr. 2015

4 j'aime

Tetsuo & Youth
Lawliet
5

Critique de Tetsuo & Youth par Lawliet

Album assez hétérogène ; de bonnes productions (la très belle "Adoration of the Magi", smooth et planante ; la plus classique "Blur My Hands", qui fonctionne tout de même très bien ; l'exotique "Dots...

le 4 avr. 2015

4 j'aime

Extravasation
Lawliet
5

Critique de Extravasation par Lawliet

Album de technical thrash metal qui jouit d'un certain crédit auprès des aficionados du genre. Je peux le comprendre : les compositions sont constamment imprévisibles et complexes, certains riffs...

le 14 mars 2015

4 j'aime