Jeu est un autre
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Andrew Wykes, auteur à succès de romans policiers à la Agatha Christie, est un aristocrate qui invite dans son manoir Milo Tindle, un coiffeur d'origine italienne avec qui son épouse est partie. Il propose à son rival un marché : commettre un faux cambriolage sur les bijoux de sa femme, qui sont restés dans son coffre-fort mais sont assurés. Ils se partageront la police d'assurance et la revente des bijoux, soit 170 000 livres. Andrew a tout prévu, il a envoyé ses domestiques en congé pour le week end. Milo accepte et se déguise, en clown pour l'occasion. Andrew, avec beaucoup de pédanterie, le guide, et l'aide à maquiller le vol en cambriolage, par exemple en saccageant la chambre de sa femme.
Mais au dernier moment, il tire avec un pistolet contre le mur où est accroché un portrait de sa femme, puis il braque Milo, le force à supplier et lui tire une balle dans la tête.
Deux jours plus tard, un inspecteur arrive et pose des questions sur la disparition de Milo Tindle. Andrew est de plus en plus mal à l'aise, car l'homme semble trouver des indices incriminant partout : de la terre fraîchement remuée dans le jardin, les effets à initiales M. T. roulés en boule dans sa commode, du sang séché sur le tapis de l'escalier où le faux coup est censé avoir été tiré. Andrew explique : le coup qu'il a tiré était à blanc, Milo est en réalité parti en bonne santé, mais humilié et effrayé. Wykes, de plus en plus effrayé de ne pouvoir se disculper, s'effondre, mais l'inspecteur se démasque : c'est Milo, qui a organisé cette mise en scène pour se venger.
Mais il explique à Wykes que devant la peur de mourir qu'il a ressentie, cela ne suffit pas. Il propose un dernier jeu à Wykes. Milo a tué sa maîtresse, Tea. Il a laissé dans le manoir 4 objets incriminant Wykes : à lui de les trouver, car dans un quart d'heure, des policiers doivent arriver. Wykes est pris au jeu quand il appelle Joyce, l'amie de Tea qui lui confirme que celle-ci a été retrouvée étranglée. Frénétiquement, il trouve les 4 indices de justesse. Mais c'était une nouvelle mise en scène de Milo, cette fois avec la complicité de Tea, qui l'a aidée à se venger. On apprend aussi que Wykes est impuissant. Ce dernier, très mauvais perdant, sort son révolver, chargé à balles réelles. Milo assure que l'arrivée des policiers n'est pas un bluff, mais Wykes tire. Les policiers arrivent. Wykes pleure comme un enfant au milieu de ses automates.
Quand j'étais au collège, j'adorais les Agatha Christie. Et puis je me suis rendu compte que c'était une vraie arnaque, et qu'au niveau littéraire, c'était assez limité. Le limier est un film incroyable, car il porte à l'incandescence le charme du Whodunnit? à l'anglaise, tant du point de vue du decorum (manoir, jardin anglais, salle de billard, musique étriquée au clavecin...) que du rythme fort soutenu des renversements de situation, de la brillance des dialogues, féroces. Et dans le même temps, il démonte cette construction mentale comme une supercherie, un travail intellectuel cynique et coupé de la réalité.
Un casting impressionnant : deux monstres (Laurence Olivier et Michael Caine) et rien d'autre. A l'un, le phrasé ampoulé et l'air enjoué du vieillard qui cache un gamin pervers. A l'autre, le gars des faubourgs de Londres. Il y a d'ailleurs un jeu sur le vocabulaire et les accents qui obligent à voir le film en anglais, les sous-titres posant problème d'ailleurs pour bien transcrire les énigmes de la fin.
Le seul point sur lequel je pinaillerais un peu, c'est le déguisement de Caine. Mankiewicz aurait pu faire ses cadrages autrement pour que le spectateur ne devine pas si facilement le pot-aux-roses, mais il lève le doute très vite, d'autant que la voix de Caine, malgré son talent indéniable, le trahit un peu (à moins que ce soit fait exprès ?).
Le film se passe quasi intégralement dans le manoir, mais ne donne pas une impression statique, au contraire. Encore un grand coup de chapeau au scénariste Anthony Shaffer, qui a assuré l'adaptation de sa pièce. Même si ça se sent parfois que c'est adapté d'une pièce de théâtre, c'est parfait. Le rythme est excellent, ni trop long ni trop court, avec les renversements de situation juste au bon moment. Ce film clôt en beauté, par sa sobriété et son efficacité, la carrière de Mankiewicz.
Créée
le 17 août 2015
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