Titre précurseur du Nouvel Hollywood, Le Lauréat se pose avant tout en entreprise de déconstruction : celle des sentiments, celle des postures, celle des conventions et enfin celle d'un cinéma en plein renouvellement.

Mais tout ceci nécessite peut-être quelques explications. Les sentiments, d'abord. Ceux de Benjamin Braddock évoluent au gré des circonstances, tant à l'égard d'une cellule familiale étouffante que vis-à-vis des sentiments qu'il nourrit par rapport à Madame Robinson. On attend de lui sérieux et ambition, selon un modèle archétypal qui a façonné la génération de ses parents, mais lui aspire à autre chose : l'ivresse des sentiments et celle de la liberté. Quant au flirt entamé avec sa séduisante aînée, il a le mérite de le désinhiber mais ne l'empêche pas de garder ce même regard mélancolique, figé, qu'il arbore déjà lors de son arrivée, prostrée, où il se laisse guider par le tapis automatisé, dans l'aéroport.

Les conventions, elles, subissent une attaque en règle. Il y a donc ce modèle parental de réussite qui finit aux oubliettes. Il y a aussi cette relation adultère, interdite, qui prend un essor inattendu - et autrement plus touffu - quand Benjamin se lie d'affection avec la fille de sa maîtresse, ce qui donne lieu à un triangle amoureux un peu pervers. Plus généralement, il y a l'abandon d'une certaine Amérique, celle des petits bourgeois aux vies toute tracées, pour une quête de liberté rafraîchissante, pas linéaire pour un sou, qui trouve un corollaire dans la bande-son, puisque des titres populaires s'y nichent volontiers, ce qui n'est pas courant à l'époque.

Mike Nichols s'offre par ailleurs une belle liberté de ton. Il filme les jambes de Mme Robinson sans réserve. Il rend son héros volage, alors qu'il est censé être un jeune diplômé rangé et bien comme il faut. Il fait du foyer américain un objet d'étude, et pas seulement de moeurs, où la trahison et les non-dits occupent une place prépondérante. Enfin, il finit par donner à son oeuvre des airs de road-movie, puisque le final (mariage avorté) s'attarde sur deux visages poupins assis à l'arrière d'un bus en marche.

Bref, une leçon de cinéma, bien léchée et pleine d'idées de mise en scène.
Kubritch
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le 8 févr. 2015

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Kubritch

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