L'été sera chaud.Ben Braddock,diplôme universitaire en poche,revient vivre chez ses très bourgeois parents à Los Angeles.Alors que famille et amis lui mettent la pression afin qu'il choisisse une voie lui permettant de finaliser ses études et de réussir professionnellement,il n'a pas d'idée précise quant à son avenir et préfère faire un break,buller,profiter de la piscine familiale malgré les reproches de son père,car il est las d'être toujours ce jeune homme performant dont tout le monde est fier.En fait,il étouffe,ce que symbolise admirablement l'incroyable scène de plongée avec scaphandre.Et le voilà qui cède aux avances pressantes de madame Robinson,la très chaude épouse du meilleur ami et associé de son père,qui va le déniaiser et donner de l'assurance à ce garçon empoté et coincé.Mais voici qu'arrive Elaine,la fille des Robinson,qui revient elle aussi de l'université et qu'il n'a pas vue depuis longtemps,qui est devenue une jeune femme absolument craquante.Evidemment,ça ne loupe pas,les deux jeunes gens tombent amoureux,à la grande fureur de la maman.Ben se trouve alors piégé dans une situation inextricable qu'il va pourtant bien falloir extriquer.On a pas mal oublié Mike Nichols,qui fut un grand cinéaste hollywoodien et qui signe ici une de ses meilleures oeuvres.Producteur et réalisateur du film,il donne une stupéfiante leçon de mise en scène et accomplit un travail d'une qualité qui semble s'être largement perdue de nos jours.Utilisant avec un implacable discernement la largeur d'écran et la profondeur de champ,il déroule un flot ininterrompu de plans magistraux,avec une remarquable acuité dans la recherche des angles,des idées de mise en scène à la pelle et des enchaînements fantastiques.Citons pour exemple le moment très signifiant où Ben contemple le portrait d'Elaine et qu'apparait dans le reflet du tableau une madame Robinson dans le plus simple appareil,ou celui qui voit le garçon plonger dans la piscine et,dans le même mouvement,s'allonger sur le corps de sa maîtresse dans une chambre d'hôtel.Un régal!La sublime photo de Robert Surtees,un magnifique Technicolor,est également bluffante avec ses couleurs vives valorisant de superbes décors ensoleillés ou son boulot dément sur la lumière amenant des clair-obscurs renversants.Comble de bonheur,le tout est soutenu par une des plus belles bandes-son de l'histoire du cinéma,signée Paul Simon,lequel interprète les chansons en duo avec son complice d'alors Art Garfunkel,ce qui nous vaut en particulier de pouvoir écouter ces insubmersibles tubes que sont le mélancolique "The sounds of silence" ou l'euphorisant "Mrs. Robinson",les morceaux étant toujours envoyés pile au bon moment pour dynamiser le film et relancer l'action.Mais tout cela ne suffirait pas sans le formidable scénario de Buck Henry,qui joue un petit rôle dans le film,et Calder Willingham,qui font du roman de Charles Webb qu'ils adaptent un monument de coolitude.Certes,"Le lauréat" n'a pas inventé la comédie romantique,on se souvient de la screwball comedy des années 40,mais il a établi les bases de la romcom moderne,en plaçant la barre très haut.Il y a évidemment la première lecture,l'histoire du couple aux amours compliquées avec le garçon maladroit qui devra surmonter problèmes et embûches afin de rattraper le coup.Mais le script ne se contente pas de ça et livre un portrait en creux de la société américaine de l'époque,tout en donnant de la profondeur aux personnages.En ces sixties finissantes,le monde était en proie à de grands bouleversements socio-politiques impulsés par une jeunesse en révolte,et Ben et Elaine vont y participer à leur manière.Ce sont des jeunes polis,bien élevés et respectueux de leurs aînés,ils ne vont pas brailler dans la rue en agitant des pancartes,mais ils vont prendre leur destin en main et lui donner une toute autre direction que celle que leurs ascendants avaient prévue.Rejetant une société conformiste,matérialiste,autoritariste sous des dehors aimables,rongée par l'hypocrisie,l'indifférence et la primauté du statut social,ils finiront par fuir ensemble.Quitte sans doute à plus tard revenir à cette confortable existence bourgeoise ,à laquelle chacun aspire en réalité,une fois la fougue calmée et les illusions dissipées,ainsi que l'ont fait de nombreux baby boomers.Car l'homme ne change pas fondamentalement,ce qui change est l'héritage qu'il laisse.Il y a fort à parier que Ben élèvera ses enfants moins durement que ses parents ne l'ont élevé,et que ses enfants élèveront leurs gosses moins durement encore,et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'éducation du tout comme c'est souvent le cas aujourd'hui.Autre qualité du film,son ironie féroce.Loin de l'humour lourdaud qui est fréquemment de rigueur dans la romcom actuelle,Henry et Willingham trouvent un miraculeux équilibre entre le côté au fond tragique des évènements et un humour décapant toujours en embuscade.Par-dessus le marché,il y a dans "Le lauréat" un érotisme plutôt audacieux pour l'époque,les scènes entre madame Robinson et Ben étant des plus suggestives,et aussi une perversité surprenante,le héros se tapant la mère puis la fille,cheminement digne de la tragédie antique.Le film accuse un léger coup de mou dans l'avant-dernière partie,les scènes à Berkeley,même si les deux séquences dans la chambre de Ben,avec Elaine puis monsieur Robinson,sont épatantes.Ca redémarre à fond dans le final avec l'irruption de Ben dans l'église pour empêcher le mariage de sa chérie,une scène qui a depuis été copiée des centaines de fois sans en atteindre le délire destroy,avec notamment un détournement vicieux des symboles religieux.La scène finale dans l'autobus laisse perplexe et instille un certain malaise.Elaine et Ben n'auraient-ils déjà plus rien à se dire?Que va-t-il advenir de leur couple,sachant que la fille est mariée à un autre?Dustin Hoffman,tout jeunot,crève l'écran pour son deuxième film,et son premier en vedette,insufflant au personnage un côté lunaire et décalé.On observe qu'il court beaucoup ici,comme s'il répétait son rôle de "Marathon man" qu'il tournera neuf ans plus tard.Katharine Ross,dont le personnage est un peu en retrait,est délicieuse et émouvante en jeune femme de prime abord passive et naïve qui devient émouvante à mesure qu'elle subit une terrible suite de chocs émotionnels,pour finalement s'affirmer et s'épanouir.Anne Bancroft,épouse de Mel Brooks à la ville,est royale dans le rôle complexe de Mrs. Robinson.Au-delà de la sensualité torride de cette femme,elle en restitue toutes les failles dissimulées derrière sa nymphomanie et son alcoolisme.Les acteurs de complément sont peu connus mais très solides,et on remarque particulièrement l'excellent Murray Hamilton,qui joue un Mr. Robinson incarnant le mâle américain sûr de lui et triomphant qui va tomber lourdement de son piédestal.Il sera en 75 le maire de la station balnéaire d'Amity dans "Les dents de la mer",celui qui réfute le principe de précaution.

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le 23 avr. 2020

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