Le Lauréat par TheoC

Par ou commencer pour descendre un classique sans se faire balancer des oeufs au visage?

Commencer par reconnaitre ses forces peut-être? Le Lauréat c'est, admettons-le, un film atypique. La romance classique au cinéma, c'est souvent la transformation d'un personnage en mieux, la victoire de l'amour et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfant. C'est clairement pas le cas de ce film qui conserve la confusion sur les désirs même des personnages jusqu'au bout. Le cinéphile s'enthousiasmera également d'un travail de montage d'une belle imagination, que ce soit au niveau des inserts dans la scène de la chambre, des transitions dans les montages ou de tenir un plan juste assez longtemps pour qu'il devienne inconfortable. Apprécions aussi le language cinématographique maitrisé (je reviendrais sur l'utilisation de l'eau dans le film) qui permet une lecture un peu plus en profondeur.

Malheureusement, la confusion du personnage implique qu'il n'ait pas de but, pas d'aspirations, ce qui limite franchement l'empathie que l'on construit envers lui et c'est un peu nécessaire si on va passer deux heures en compagnie de ce personnage. Quand aux transitions et le subtext cinématographique, c'est bien beau mais c'est très secondaire en face de l'intrigue elle même et l'intrigue est faible. Elle manque de direction vers laquelle avancer. Les personnages réactifs plutôt que proactifs font des mauvais sujets de film et malgré qu'il soit ici bien servie par la technique, le sujet n'est pas engageant pour l'audience.

Un mot sur l'utilisation de l'eau dans le film et le subtext cinématographique qu'il faut y lire parce que c'est ce que j'ai le plus aimé dans le film. Il y a un solide fil rouge dans le film associant l'eau à la confusion du personnage, que ce soit au niveau de son affaire, au niveau de ses projets de vie. Il est fréquemment placé devant une étendue d'eau et on pourrait même argumenter que lorsque sa confusion grandis, il est même placé dans l'eau, que ce soit dans la piscine ou à travers son aquarium. Ces plans qui sont omniprésents dans la première partie du film disparaissent progressivement lorsque Benjamin décide enfin par lui même et se lance à la poursuite d'Élaine. La dernière fois qu'on le voit devant un plan d'eau, c'est lorsqu'il attends devant une fontaine et qu'il la voit à Berkeley mais qu'il n'ose pas encore l'approcher. Je pense d'ailleurs que les détails de ces plans ne sont pas anodins, et que vous pourrez vous amuser à repérer ceux qui ont un sens rattaché à l'intrigue.
Par exemple lorsque Mrs Robinson envoie les clés de la voiture dans l'aquarium, elle le force ainsi à plonger sa main dans l'eau. Alors qu'il était déjà confus sur son futur, Mrs Robinson va être l'élément qui va le plonger encore plus profondément dans l'indécision. Par ailleurs, on remarque dans la première scène dans la chambre que le plongeur est à la verticale dans l'aquarium derrière Benjamin. Lorsqu'il récupère les clés, elles ont fait tomber le plongeur à l'horizontale au fond de l'aquarium. La chute de ce petit plongeur en plastique annonce déjà la chute du personnage principal par le biais de la tentation de Mrs Robinson.

A la fin du film, l'ambiance tourne rapidement au malaise lorsque les deux personnages se rendent compte qu'ils ont peut être fait une grosse connerie. Et c'est peut être le cas mais au moins auront-ils fait cette erreur de leur propre chef et pas pour obéir à leurs parents qui les gouvernent tout deux. De ce que j'ai lu beaucoup considèrent cette fin comme une sorte d'échec mais pour moi c'est au contraire qu'ils ont franchi une première étape pour grandir. Plutôt qu'être la pâte à modeler de leurs ainés ils se sont accordé le droit de faire leurs choix, fussent-ils stupide. Et c'est ça aussi la jeunesse. Ca aura quand même pris 1h et demi mais comme dirait Pablo Picasso "On met longtemps à devenir jeune"

Le Lauréat est un film finement réalisé mais dont les personnages ne suscitent que peu d'empathie puisque ce sont soit des caricatures sans nuance, d'une part des amibes sans aucune volonté et en face, des tyrans domestiques. Le thème du conflit générationnel n'est traité que par ses extrêmes et c'est une généralisation grossière. C'est dans l'ensemble un film intéressant mais pas divertissant.