Diao Yi’Nan est un réalisateur chinois qui fait sensation à chacun de ses films. Uniform (2003) remporte le Prix Dragons & Tigres du jeune cinéma au Festival international du film de Vancouver ; Night Train (2007) est sélectionné à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard ; Black Coal (2014) gagne l’Ours d’or du meilleur film au 64e Festival international du film de Berlin ; et son dernier, Le Lac aux Oies Sauvages (2019), a été sélectionné pour concourir pour la Palme d’Or au Festival de Cannes. Ce dernier a d’ailleurs été un succès pour un film d’auteur chinois puisqu’il a récolté 31M$US au box-office à travers le monde et a récolté de nombreuses critiques positives sur les sites spécialisés. Le néo-noir semble être à la mode depuis quelques années dans le cinéma chinois et Le Lac aux Oies Sauvages en est un très beau représentant, à mi-chemin entre le commentaire social qui interroge, le film d’auteur, et la série B d’action. Un mélange détonnant qui pourra certes en déstabiliser certains par sa langueur mais qui s’avère être une expérience des plus intéressantes.


Tourné en très grande partie de nuit, on constate dès les premières secondes le soin apporté à la mise en scène, et plus particulièrement à la photographie, avec une utilisation saisissante des couleurs. Des néons roses, violets, tantôt accentuant le côté miteux d’une ruelle, tantôt enjolivant un décor au final assez simple. Le réalisateur et le directeur photo vont également jouer à plusieurs reprises avec les ombres et les lumières, allant même jusqu’à mettre en image une discussion entière rien qu’avec des silhouettes façon ombres chinoises, une scène que n’aurait pas reniée un certain Christopher Doyle. Le résultat est parfois onirique, mais surtout hypnotisant. Comme souvent dans le cinéma d’auteur chinois versant dans le polar ou le thriller, le rythme est lent, avec des scènes qui durent volontairement. Déroutant au départ, pouvant paraitre ennuyeux pour certains, le procédé permet ici d’accentuer la tension de certaines scènes. L’attente est au centre du récit, et ce dès la première scène. Attendre et chercher. L’antihéros cherche la rédemption et il attend que quelqu’un de confiance le dénonce afin que la prime sur sa tête soit reversée à sa femme. L’héroïne, elle, attend le bon moment pour se libérer de sa position de travailleuse du sexe. Elle cherche le moyen de se faire de l’argent pour se sortir de là et ouvrir un petit commerce. La performance des acteurs est à souligner. Si Hu Ge (1991, The Climbers) s’en sort très bien dans ce rôle d’ancien gangster qui cherche la rédemption, c’est sa comparse Gwei Lun-Mei (Flying Swords of Dragon Gate) qui tire toute la couverture à elle avec un rôle pas simple où son personnage se fait flouer, frapper, et même violer. Nous allons les suivre à tour de rôle dans cette chasse à l’homme où chacun se fera malmener sans jamais quitter de vue leur objectif commun mais aussi personnel.


Si on prend le film dans son ensemble, il ne raconte au final pas grand-chose. On suit une chasse à l’homme et c’est à peu près tout. Mais jamais cela ne dessert le film car le réalisateur est assez malin pour mettre ce qu’il faut de détails, ce qu’il faut d’à-côtés, sans que cela ne fasse remplissage, pour que les presque 2h du film restent homogènes. Et puis avec cette histoire de chasse à l’homme, il en profite pour maquiller en arrière fond une critique sociétale et même politique de la Chine. Il l’enrobe pour ne pas s’attirer les foudres des censeurs chinois, mais on y ressent bien un message sur la pauvreté, l’anarchie parfois ambiante dans les villes, et même la représentation cinglante de la Police. Le Lac des Oies Sauvages va mettre en parallèle les méthodes des gangsters avec celles des policiers, et elles seront au final assez similaires : couvrir différentes zones de la ville, d’un côté pour attraper le malfrat en fuite, de l’autre pour ne pas se marcher dessus dans le domaine du vol de scooters / mobylettes. Et c’est assez fun de voir comment le réalisateur va filmer les réunions de part et d’autres un peu de la même façon et jouer avec les différents codes des films policiers que nous connaissons. Les quelques fois où le film s’énerve, c’est pour nous pondre des scènes d’action certes courtes, mais très efficaces, avec une caméra qui accélère et un sens du montage intelligent qui va aussi bien rappeler des films tels que The Man From Nowhere (avec la scène du cadenas en U) que certains films d’arts martiaux (avec par exemple l’utilisation d’un parapluie comme arme) d’antan. Diao Yi’Nan s’amuse de temps à autre à verser dans le sanglant, et là aussi on ne peut s’empêcher de penser à certains Shaw Brothers de la fin des années 60/70 et leurs débordements gores (coucou Chang Cheh). Ce renvoi à cette époque, on semble également le retrouver dans le look de ces « baigneuses » (des prostituées dont le terrain de jeu se situe au bord d’un lac) qui nous font immédiatement penser à par exemple Cheng Pei Pei dans un film tel que Come Drink With Me (1966).


Le Lac aux Oies Sauvages est un bon polar à l’esthétique très travaillée. Souvent languissant pour donner encore plus de force à ses scènes d’action, il ravira à n’en pas douter les amateurs de films noirs.


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-le-lac-aux-oies-sauvages-de-diao-yinan-2019/

cherycok
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le 29 mai 2023

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